Législation
Les huiles essentielles menacées par une nouvelle réglementation européenne
La filière des huiles essentielles s'inquiète d'un nouveau projet européen sur les produits chimiques, prévu pour fin 2021, qui pourrait conduire à classer ces substances aromatiques dans la catégorie des produits dangereux. Un coup dur pour les producteurs, les distillateurs mais aussi les fabricants de cosmétiques français.
« Lavandes en danger » peut-on lire sur les pancartes postées en bordure des champs violets de lavande dans la Drôme ces derniers jours. Ces panneaux, installés par les producteurs de la plante médicinale, alertent sur une nouvelle réglementation européenne relative aux produits chimiques intitulée Reach*, qui pourrait condamner tout le secteur des huiles essentielles. En effet, si en pratique, ce projet de la Commission européenne de révision de la classification, de l’étiquetage et de l’emballage des substances chimiques vise à réduire les risques liés à la production et à l’utilisation de produits chimiques dangereux, c’est la manière similaire d’analyser les produits naturels et non naturels qui est pointée du doigt par les producteurs.
Les produits naturels jugés chimiques ?
Le document prévoit de traiter les huiles essentielles de la même façon que les produits chimiques synthétiques au regard de leur impact sur la santé humaine et l'environnement.
Ainsi, toutes les molécules contenues dans les produits cultivés sont passées au crible avant d’être mises sur le marché afin de détecter leur potentiel allergène, cancérigène, ou perturbateur endocrinien. Seulement, selon les professionnels de la filière, faire un parallèle entre produits chimiques et huiles essentielles est un non-sens. Cette analyse, molécule par molécule, pourrait par exemple porter préjudice à l’huile essentielle de lavande, car cette dernière contient du linalol, substance jugée allergène. Cette confusion entre substances conduit ainsi au fait que l'huile essentielle pourrait être assimilée à un produit chimique par les nomenclatures. Or la plante compte des centaines d’autres molécules et devrait donc être considérée dans sa globalité, clament les cultivateurs, qui vantent son utilisation depuis la nuit des temps. Le risque est donc que, par principe de précaution, certaines huiles essentielles soient considérées comme cancérigènes, perturbateurs endocriniens, non biodégradables… et donc restreintes, voire interdites parce qu’une de leur molécule est jugée dangereuse.
De potentielles contraintes pour la filière
L’inquiétude des lavandicateurs porte également sur le fait que l’adoption de cette nouvelle réglementation pourrait demander des dépenses importantes, notamment pour la recherche de preuves de la non-dangerosité des produits. Des coûts onéreux que des petites distilleries ne peuvent se permettre.
Aussi, la filière redoute de devoir mentionner le caractère allergène du produit sur les flacons d’huiles essentielles, ce qui pourrait entraîner de la méfiance ou décourager le consommateur, les fabricants de cosmétiques ou de produits alimentaires d’utiliser l’huile essentielle.
Enfin, les professionnels craignent que cette réglementation encourage davantage l’utilisation d’huiles essentielles de synthèse au détriment des huiles naturelles produites à partir de méthodes ancestrales.
Les producteurs de lavande se mobilisent
En opposition à la réglementation, Alain Aubanel, président du Syndicat des producteurs de plantes à parfum de la Drôme et de l’Ardèche et du Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, ainsi que ses collègues, souhaitent s’entretenir avec le Premier ministre, et tentent d’alerter les députés européens. Les professionnels ont également mis en ligne une pétition dans laquelle ils demandent à la Commission européenne « de prendre en compte la spécificité des produits naturels; en particulier celle des huiles essentielles ».
La consommation d’huiles essentielles nécessite des principes de précaution, cependant, il est déjà possible de connaître toutes les contre-indications de ces dernières via la consultation d’un aromathérapeute, d’un pharmacien ou dans des ouvrages spécialisés. Reste donc à espérer qu’une distinction entre les différents produits naturels et chimiques sera établie, afin que cette réglementation ne soit pas appliquée aux huiles essentielles. Cette dernière, si elle est mise en place, pourrait conduire à la disparition de ce secteur d'activité, et donc la disparition de nombreux fabricants de cosmétiques, de parfums et de produits d’hygiène naturelle.
* REACH est un règlement de l'Union européenne adopté pour mieux protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques, tout en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique de l'UE.