Georges Feterman : un homme remarquable au service des arbres
Plantes & Santé. L’Association ARBRES (Arbres remarquables : bilan, recherche, études et sauvegarde) fête ce mois-ci ses vingt ans. Quel bilan tirez-vous de ces années au service des arbres ?
Georges Feterman. L’association est née en 1994 de la rencontre de trois passionnés, Yves-Marie Allain, ancien directeur des cultures du Jardin des plantes de Paris, Robert Bourdu, physiologiste végétal à l’origine de la notion d’arbre remarquable, et moi-même. À l’époque, nous pensions qu’avec quelques centaines d’arbres, nous aurions fait le tour du sujet. Vingt ans plus tard, nous en avons répertorié plusieurs dizaines de milliers et labellisé environ 360. Nous continuons à nous consacrer à la reconnaissance des arbres remarquables, même si nous sommes sollicités pour défendre toutes sortes de spécimens dès lors qu’ils sont menacés.
P. & S. Pourquoi avoir inventé le label Arbre remarquable de France et quels sont les critères à remplir pour qu’un spécimen soit distingué ?
G. F. En l’absence de statut administratif officiel, nous avons créé le label Arbre remarquable afin que cette reconnaissance morale joue un rôle protecteur, et cela a fonctionné dans 99,99 % des cas ! Plusieurs raisons conduisent à la distinction d’un spécimen ou d’un ensemble d’arbres : un âge ancien, une dimension exceptionnelle de par la circonférence ou la hauteur, ou une forme originale. Certains arbres sont remarquables car ils sont gardiens de faits historiques ou de légendes. S’ajoute à ces critères le coup de cœur. C’est le cas des platanes de Labouheyre dans les Landes, fruit du travail d’un jardinier qui, à force de patience, a composé le plus bel ensemble du sud de la France. Ce qui me fascine, c’est qu’ils sont non seulement soudés les uns aux autres par le haut, mais aussi par les racines. Ces arbres remarquables ne le sont donc pas seulement par la force de la nature, il y a un lien fort avec les hommes qui les ont plantés, entretenus et aimés parfois depuis plusieurs générations.
P. & S. Comment ce label parvient-il à protéger ces arbres ?
G. F. Tout à coup, l’arbre qui était là, comme un meuble, prend de l’importance aux yeux de la société. Cette démarche de labellisation fait émerger une fierté au sein du quartier ou de la commune, ce qui le protège. Nous organisons une cérémonie avec les habitants afin de renforcer la prise de conscience. Prenons l’exemple des tilleuls de Villers-sous-Chalamont : des citoyens se sont mobilisés pour éviter que la municipalité ne coupe deux arbres très anciens situés de part et d’autre d’une chapelle. Comme bien souvent, la mairie craignait qu’il se produise un accident dont elle aurait à porter la responsabilité. Il y a eu de fortes oppositions et même du vandalisme dont témoignent des marques de scie sur les troncs des deux vétérans, mais finalement les arbres ont été labellisés et sauvés. Régulièrement, je rédige des courriers pour aider les particuliers en conflit avec leurs voisins : lorsqu’il s’agit effectivement d’arbres remarquables, nous pouvons contribuer à leur préservation. Parfois le label ne suffit pas et il faut aller plus loin : en l’occurrence, nos correspondants de l’Orne ont dû réaliser une souscription pour acheter un terrain sur lequel un chêne de 500 ans était menacé, préservant ainsi l’arbre et son entourage.
P. & S. La loi française ne prévoit vraiment rien pour les arbres très anciens ?
G. F. Dans les années 30, quelques arbres ont été classés monuments naturels, mais cela est tombé en désuétude. Aujourd’hui, une des façons de protéger le plus efficacement un spécimen en dehors de notre label, c’est qu’une commune intègre le terrain sur lequel il pousse dans son plan local d’urbanisme (PLU). L’Office national des forêts (ONF) recense plusieurs centaines d’arbres remarquables dans ses bois et nous avons un partenariat de reconnaissance mutuelle. Mais ces statuts sont insuffisants, c’est pourquoi nous lançons, à l’occasion de nos vingt ans, une pétition nationale pour une protection de ce patrimoine naturel et culturel.
P. & S. Dans la préface de votre dernier livre, le grand botaniste Francis Hallé déplore le regard trivial que nous portons sur l’arbre : dans un verger il est censé produire des fruits et rien d’autre, en ville procurer de l’ombre, en forêt du bois. Avec la prise de conscience écologique actuelle, notre regard sur les arbres est-il en train de changer ?
G. F. J’ai conscience qu’en protégeant seulement les vieux arbres remarquables, notre association ne sauve pas l’essentiel, c’est-à-dire les grands équilibres naturels. Et que le massacre des forêts se poursuit un peu partout dans le monde. Mais, à ma modeste mesure, je participe à une autre mise en valeur des arbres. Nous accompagnons une prise de conscience qui se traduit par une nouvelle façon de les regarder. Une évolution qui est sensible par exemple chez les gestionnaires d’espaces verts : je constate que dès lors qu’on leur en donne les moyens, ils cherchent à accompagner leur développement, plutôt que de se contraindre à nos propres exigences. Et dès que j’en ai l’occasion, je répète qu’il faut protéger les arbres non parce qu’ils sont utiles – pour faire entre autres des médicaments –, mais parce que ce sont des êtres vivants au même titre que nous.
À noter : Georges Feterman et l'association ARBRES avaient lancé une pétition pour la reconnaissance des arbres remarquables. Pour la consulter, c'est par ici.