Hommage à Jean-Marie Pelt, passeur de savoirs
Pour saluer le botaniste et écrivain Jean-Marie Pelt, décédé ce 23 décembre 2015, voici une interview réalisée en janvier 2013 par la rédaction de Plantes et Santé. Un témoignage de la vision poétique qu’avait du monde végétal cet humaniste et grand défenseur de l’écologie.
Peut-on parler d’intelligence au sujet des plantes ?
Les plantes ne sont pas intelligentes mais elles possèdent une sorte d’intelligence. En 1910, Maurice Maeterlinck montre, dans son livre « L’intelligence des fleurs », la subtilité des mécanismes d’interrelations. De même que Goethe, dans sa « Métamorphose des plantes », développe une vision d’ensemble. Derrière chaque chose, il y a un lien où tout se tient. Avant, on n’étudiait qu’un organisme, tout seul. Il est plus intéressant de regarder cet ensemble qui fonctionne avec des relations intelligentes. Car il y a bien une idée de cohérence générale. Les plantes agissent avec des mécanismes passifs mais qui aboutissent à des résultats visibles.
Comment se manifeste cette sorte d’intelligence ?
J’ai vu les travaux de M. Campagna, un chercheur de Clermont-Ferrand, sur la bryone. En frottant une partie de la tige, il en freine la croissance. Les cellules se durcissent comme du bois. Le chercheur récupère ces dernières et les cultive en labo. Sur quatre générations, les cellules refont du bois, ensuite elles redeviennent normales. C’est donc comme s’il y avait une mémoire. Intéressant, non ? Mais le plus important ce sont les relations qu’elles ont. Les plantes sont bien plus douées que les animaux en terme de création de molécules chimiques. Elles peuvent même
recréer des phéromones simplement pour attirer les insectes nécessaires à leur pollinisation. Grâce à leur métabolisme secondaire, les plantes synthétisent des molécules pour communiquer, se protéger, etc. Elles peuvent secréter des toxines pour les bactéries liées aux racines des plantes voisines, ce qui va rendre impossible la germination des graines. Sous un eucalyptus, par exemple, vous ne trouverez qu’un vide, car rien ne peut y pousser.
Ne font-elles que se défendre ? Ces mécanismes n’ont-ils que des effets négatifs ?
Non, au contraire. Certaines plantes sont favorables les unes aux autres. Par exemple, entre la carotte, l’oignon et le poireau. L’odeur d’oignon se brouille avec celle de la carotte. Or la mouche de la carotte se repère normalement à l’odeur. Dans ce cas-là, elle se perd et ne trouve plus la carotte. C’est aussi le cas, dans l’autre sens, pour le parasite de l’oignon, ainsi que pour les mites attirées par l’odeur du poireau. Mais des chercheurs se sont rendus compte récemment que les plantes réagissent différemment aux signaux reçus. Quand l’armoise américaine est broutée, elle produit des émissions volatiles pour que ses voisines fabriquent le tanin qui éloignera l’herbivore. L’efficacité du signal dépend de l’armoise qui la reçoit. Si elle provient du même pied-mère, génétiquement identique, l’efficacité sera plus grande qu’avec un autre pied. C’est l’idée de parentèle. Il en va de même pour la croissance des plantes. Dans le sol, les racines ne se gêneront pas si les plantes sont de la même espèce. Elles respectent alors le territoire de l’autre.
Les plantes ont-elles conscience de ce qui les entoure ?
La plante donne une partie d’elle-même quand elle se fait brouter, mais pas tout. Elle rééquilibre les échanges en se défendant. Ce sont des échanges subtils. La Nature est une entité où tout se régule. Et s’il n’y a pas de conscience chez les plantes, elles participent à un équilibre métastable, qui est remis en cause régulièrement mais finit normalement par se restabiliser.