Jean-Luc Chavanis : « Le contact avec les plantes libère la parole, y compris au travail »
Après un déclic, Jean-Luc Chavanis opère il y a dix ans une réorientation. Cet ex-cadre dans l'industrie a inventé une méthode de coaching utilisant la nature comme vecteur d'expression. Désormais, il aide des travailleurs à gérer leurs problématiques professionelles en les emmenant… au jardin.
Plantes & Santé. Comment êtes-vous passé de fonctions de direction dans des multinationales à une activité de coaching conciliant monde de l’entreprise et celui des jardins ?
Jean-Luc Chavanis. J’ai toujours eu besoin de « faire du social » et de participer à des actions humanitaires. En 2002, j’ai été à l’initiative d’un projet d’éducation à l’environnement à destination des enfants, en partenariat avec la ville de Paris : les jardins pédagogiques MacadamFleurs. Puis j’ai été amené à concevoir des ateliers de jardinage avec des détenues de l’hôpital de la maison d’arrêt de Fresnes. L’objectif était de créer du lien social et de favoriser la communication. Le premier atelier a été un véritable déclic pour moi : l’une des femmes, qui refusait de parler et de jardiner avec les autres, est tout à coup allée saisir une jacinthe, a senti son parfum et s’est mise à participer avec beaucoup d’entrain aux discussions, évoquant ce que la plante lui rappelait. Dès le lendemain, je décidais de me reconvertir professionnellement dans le domaine de la relation d’aide alors que mon employeur me proposait une jolie promotion.
Comment avez-vous mis au point votre méthode d’accompagnement Métanature ?
À l’issue de ma formation en coaching, j’ai commencé à expérimenter ce que j’avais mis en place avec les détenues. J’avais en effet compris que la vue et le contact des plantes et de la terre permettaient de libérer la parole et de se projeter dans le futur. Alors que j’accompagnais une chômeuse de 50 ans en fin de droits, qui pensait son horizon bouché, je lui ai proposé de faire une séance au jardin du Luxembourg, à Paris. En passant devant une bâtisse très imposante, elle a accéléré le pas, expliquant qu’elle ne se sentait pas à l’aise à cet endroit, et qu’elle préférait se trouver à côté de massifs fleuris. Je l’ai questionné sur les raisons de ses sensations et c’est ainsi qu’elle a compris, au fur et à mesure de la discussion, qu’elle ne voulait plus travailler dans de grandes entreprises, symbolisées par la bâtisse, et qu’elle souhaitait s’orienter vers une profession artistique, représentée par les fleurs. J’ai reproduit cette approche avec d’autres clients et mis au point plusieurs exercices, établissant pierre par pierre un véritable outil d’accompagnement. Je l’ai appelé Métanature, car j’utilise les métaphores de la nature, notamment les images des jardins. Je l’ai peaufiné grâce à des spécialistes de l’hortithérapie comme le Pr Alain Calender, médecin au CHU de Lyon et président de l’association Jardins, Art et Soin.
Comment expliquez-vous que les jardins et la nature aident vos clients à résoudre leurs problèmes professionnels ?
Se retrouver dans un jardin permet de prendre de la distance et de dépassionner les échanges. De plus, le contact avec la nature éveille nos sens et nous reconnecte à notre inconscient : c’est très efficace pour les personnes qui ont du mal à poser des mots sur leurs problèmes, comme pour celles qui ont tendance à trop les intellectualiser. L’un des exercices que je propose aux participants est de choisir une partie du jardin qui pourrait les représenter. Un grand arbre évoque la puissance ; les fleurs, plutôt le féminin et le relationnel ; les clôtures, elles, renvoient un sentiment d’étouffement… Au-delà de ces symboles forts, la nature offre une infinité d’images évocatrices. Mon rôle, en questionnant ceux avec qui je travaille, est de les amener à passer de l’image à l’imaginaire, puis au réel.
Pour quels types de problématiques êtes-vous le plus souvent sollicité ?
Cohésion d’équipes autour d’un nouveau projet, déménagement (car cela déstabilise les salariés), gestion des conflits… J’interviens aussi souvent en entreprise dans le cadre de la prévention du burn-out : on estime aujourd’hui qu’il toucherait entre 5 et 10 % des salariés, à des degrés plus ou moins élevés. En effet, le monde actuel va vite et change chaque seconde, or le changement est le principal générateur de stress. Au départ, le stress est une réaction naturelle de l’organisme à tout évènement inhabituel, mais s’il devient chronique, il entraîne un épuisement à la fois physique et psychologique, le burn-out. Face à toutes ces problématiques, j’utilise différents outils de coaching, dont la méthode Métanature. Je l’emploie si on me le demande, ou si je sens que cela va aider à libérer la parole.
Cette méthode peut-elle être utilisée en dehors du cadre du travail ?
Outre des professionnels, j’accompagne également des couples et des familles. Et ma démarche peut être utilisée par tous : quand un(e) ami(e) sollicite votre aide, proposez-lui une promenade dans un parc plutôt qu’un rendez-vous dans un café bruyant. Invitez la personne à choisir le coin du jardin qui l’attire, l’appelle. Demandez-lui pourquoi elle préfère cet endroit et ce qu’il évoque pour elle. Amenez-la à trouver des réponses au contact des plantes. À ce jour, j’ai formé une cinquantaine de personnes à ma pratique : des sophrologues, des naturopathes ou encore des conseillères en Fleurs de Bach.
Cet outil de coaching hors les murs semble dépendant de la saison et de la météo, non ? Proposez-vous une alternative lorsqu’il fait trop froid ou mauvais temps ?
Non, et c’est justement l’un des points saillants de mon approche : il faut sortir, quelles que soient les conditions. L’idée est justement de travailler avec l’imprévu, qui nous renvoie à ce que l’on ne contrôle pas. S’il pleut ou qu’il fait très froid, la réaction des personnes dira déjà quelque chose d’elles… Certaines bougonnent, d’autres acceptent sereinement, voire cherchent des solutions. De toute façon, dans notre pays, on est rarement confronté à des situations climatiques extrêmes. Cette méthode s’appuie en outre sur les théories de l’hortithérapie, qui considère que les jardins améliorent l’état physique et psychique. Contempler la nature réduit le stress, abaisse la tension artérielle et soulage la tension musculaire. Mes clients profitent donc généralement d’un moment de détente en plus des pistes d’actions concrètes que nous définissons à l’issue de la séance.
Parcours
2002 Création des jardins pédagogiques Macadam Fleurs pour la direction des Affaires scolaires de la Ville de Paris.
2002 Animation d’ateliers de jardinage thérapeutique à la maison d’arrêt de Fresnes.
Jusqu’en 2004 Employé à des postes de direction dans l’industrie, pilote des réorganisations et des situations de crise.
2006 Diplômé de l’université Paris 8 en médiation et coaching professionnel.
2007 Fonde la méthode Métanature de coaching hors les murs.
2010 Publication de Ces jardins qui nous aident, éd. Le courrier du livre.
2012 à aujourd’hui Coach professionnel (joignable sur www.metanature.fr) et intervenant à Paris 1 et Paris 8.
Reportage : au parc, un atelier de gestion du stress
Lors d’un après-midi d’hiver ensoleillé au parc des Buttes Chaumont, à Paris, Jean-Luc Chavanis propose trois exercices à deux personnes qu’il suit depuis plusieurs mois. Yann, sujet au stress, œuvre comme indépendant dans la communication. Jean, hospitalisé suite à un burn-out, est actuellement en reconversion professionnelle.
Après de succinctes présentations, le coach propose le premier exercice : « Si vous étiez un élément de ce jardin, quel serait-il ? » Yann désigne un petit arbre sans feuille, récemment planté à en croire le tuteur qui le soutient et le grillage qui l’entoure. « Je suis assez droit, carré, solide, mais j’ai besoin d’un soutien, de mes amis, de ma famille… », justifie-t-il. « Et ce grillage ? », questionne le coach. « C’est peut-être mon stress, qui me sert de protection et d’aiguillon : en m’inquiétant de ne pas avoir assez de clients, je mets en place des actions. » Jean-Luc Chavanis lui rappelle alors qu’il participe à cet atelier pour diminuer ce stress. Puis vient le tour de Jean, qui montre un platane présentant une importante courbure de son tronc. « Il est comme moi, il n’est pas droit, cela traduit mon côté créatif. Il est également écorché, comme je le suis. » Et de rappeler que son burn-out lui a laissé des cicatrices, et qu’il craint de voir se raviver ses plaies. « Je l’ai choisi aussi car il se redresse et va vers la lumière. Je voudrais justement clarifier mon projet professionnel. »
Le coach enchaîne avec le second exercice : les deux hommes ont cinq minutes pour trouver un élément du jardin représentant leur situation professionnelle dans ce qu’elle a d’inconfortable. Il rappelle que le choix doit être instinctif et non intellectualisé. Jean revient le premier : « J’ai choisi ce chemin qui descend, passe par un pont étroit puis remonte. » En échangeant avec Jean-Luc Chavanis, il se rend compte qu’il ne ressent au final que peu d’inconfort dans sa situation actuelle, et qu’il a très envie d’aller de l’avant dans son projet. Quand vient le tour de Yann, il indique un arbuste couvert de fruits jaunes, un margousier. « Cet arbre est différent des autres ; nous les indépendants, on est un peu comme ça aussi, exotiques. » Le coach l’invite à parler de son inconfort à travailler comme freelance, un statut également apprécié pour la liberté qu’il procure. Il lui fait aussi remarquer qu’une fois encore, il a choisi un arbre entouré d’un grillage. « Lorsqu’un élément revient, c’est qu’il y a quelque chose à explorer », assure le coach. Yann chercherait-il un cadre qui lui donnerait de la sécurité ?
Vient le moment du dernier exercice pour les deux hommes : aller chercher un ou plusieurs éléments du parc qui permettraient d’enclencher leur plan d’action. Yann revient avec trois petites baies rouges, « rondes, lumineuses et chatoyantes ». Il prévoit de les placer sur son bureau pour qu’elles lui rappelent, pendant les périodes de stress, combien son statut d’indépendant le rend heureux. Jean, de son côté, a ramené des fruits biscornus, représentant l’offre de service qu’il veut créer, et des feuilles abîmées, symbolisant… ses futurs clients.