Caroline Gagnon : « Au Québec, le législateur fait confiance aux herboristes »
L'herboriste-thérapeute canadienne Caroline Gagnon s'est battue pour que ce métier soit librement exercé au Québec. Ses vingt-cinq années de pratique et d'enseignement nous donnent un autre éclairage sur ce que pourrait devenir l'herboristerie clinique en France.
Plantes & Santé Le 24 mai, vous étiez conviée au Sénat au colloque sur les métiers de l'herboristerie. Depuis le Québec où les herboristes ont pignon sur rue, quel regard portez-vous sur la situation en France ?
Caroline Gagnon Ce qui m'a étonné, c'est la posture fataliste de plusieurs intervenants, face à la législation. J'ai été surprise par certaines déclarations qui, d'emblée, mettent en garde sur ce qu'il est possible ou surtout impossible à réformer. Mais je sais que c'est aussi la culture française d'être ancrée dans la tradition… Pourtant le constat était unanime, la législation concernant les plantes médicinales n'a aucun sens. Même la représentante de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a convenu de l'absurdité de certains principes. Il faut dire qu'il y a aussi le choix européen de légiférer non pas sur les substances mais sur l'usage qui en est fait et selon moi c'est un non-sens. Pour autant, au-delà du casse-tête législatif, il existe désormais une vision cohérente et unifiée de ceux qui travaillent avec les plantes. Pharmaciens, praticiens, producteurs, formateurs veulent travailler ensemble. Donc, je suis très optimiste pour l'avenir de l'herboristerie en France.
Au Canada, la situation est très différente…
Oui. Je me sens privilégiée parce que l'on peut discuter avec le législateur et on a pu collaborer à la mise en place de la législation sur les produits de santé naturels. Les herboristes ont été écoutés.
Cela a nécessité de longues discussions ?
En effet, en 1997, le gouvernement du Canada a voulu placer les plantes médicinales sous la même réglementation que les médicaments. En tant qu'herboriste, on demandait, une troisième voie. Et c'est ce qui s'est passé avec la mise en place des produits de santé naturelle qui forment un vaste ensemble allant des suppléments à partir d'une molécule isolée comme la mélatonine aux plantes médicinales. Certes tout n'est pas parfait, puisque des molécules synthétiques en font partie. Mais il faut voir la dynamique positive que cela a engendré : des chercheurs se sont intéressés à ces produits de santé naturels, des monographies très documentées de plantes médicinales ont été réalisées, et le ministère de la santé canadien, Santé Canada, a accepté les allégations thérapeutiques traditionnelles. Non seulement pour les plantes venant du Canada, mais aussi pour celles provenant d'autres pays. Et ainsi, on a le droit de conseiller des plantes chinoises, elles poussent même dans mon jardin. J'ai aussi des plantes indiennes, françaises…
Quel rôle a joué la Guilde des herboristes ?
La Guilde (lire encadré) a été un levier politique très important au niveau de la législation fédérale. La Guilde du Québec a obtenu que la paperasse réglementaire soit allégée pour l'entreprise familiale. Ce qui est fantastique, c'est que le petit producteur a le droit de commercialiser ses plantes sans passer par la réglementation des produits de santé naturelle dès qu'il vend directement à la ferme ou sur les marchés. C'est un gage de confiance de la part du législateur, et cela a été la même chose pour les thérapeutes.
Comment s'exerce le métier d'herboriste ?
Chez nous, l'herboriste n'a pas de statut au niveau légal, mais il est reconnu par ses pairs. La Guilde a favorisé la diversité de nos approches thérapeutiques, enracinée dans notre société multiculturelle. Notre herboristerie est aussi très marquée par la flore locale qu'utilisaient les peuples des Premières Nations, en particulier les racines et les écorces. L'herboristerie française est plus aérienne et utilise davantage les fleurs et les feuilles ! Ainsi, chez nous, chaque herboriste a sa vision du métier. Pour moi, cette diversité est un gage de résilience, tout comme la biodiversité équilibre les écosystèmes. Nous ne souhaitons pas promouvoir un seul profil d'herboriste, une seule formation parce que cela signifierait une homogénéisation de la pratique sous l'emprise d'une culture académique linéaire. Or l'herboristerie n'est pas linéaire.
Cette grande liberté ne présente-t-elle pas un risque ?
Il ne faut pas se tromper quand on parle de danger. Si les herboristes sortant d'école ne peuvent pas conseiller les plantes médicinales, alors les gens les achètent sur le web sans conseils éclairés. Et puis au Canada, il n'y a pas de cas d'empoisonnement par les plantes médicinales. Alors que pour les médicaments il y en a plein et ils sont en vente libre ! Cette peur des plantes en France vous a été inculquée et c'est sur cet aspect que vous devriez avancer dans les dix prochaines années. Au Canada, nous suivons un code éthique précis et nous sommes très formés. Évidemment, si on ne comprend pas la pathologie on ne peut pas accompagner la personne car on ne saura pas placer la limite thérapeutique et évaluer les risques. Donc, ce qui est primordial, c'est la posture thérapeutique et l'éthique.
Est-ce que vous intervenez surtout à titre préventif ?
Non. Les gens ne viendront pas payer 90 dollars juste pour de la prévention. Les personnes qui viennent me voir souffrent de gros problèmes de santé. Il s'agit de problématiques pour lesquelles la médecine allopathique a moins d'outils, comme la fibromyalgie, la fatigue chronique, les infections chroniques qui ne réagissent plus aux antibiotiques ou au contraire des personnes sous antibiotiques longue durée comme les cystites récidivantes ; on voit aussi de plus en plus de troubles neurologiques, de dégénérescence. On travaille parfois en lien avec le médecin. Récemment, c'est un urologue qui m'a envoyé sa patiente. Sous antibiotiques depuis de nombreuses années, sujette à de fortes douleurs, il a été décidé de diminuer la médication et de lancer un traitement à base de plantes. En deux mois, elle n'avait plus de douleur, plus d'infection. Les plantes peuvent restaurer les tissus, elles peuvent fortifier. Ce sont des mots un peu vagues, mais les médicaments ne font pas ça !
A l'avenir, dans quels domaines l'herboristerie clinique va-t-elle être amenée à jouer un rôle ?
Je trouve très intéressantes les études menées sur la complémentarité plantes-médicaments. Par exemple, certaines plantes peuvent diminuer l'antibiorésistance. Par ailleurs, face au changement climatique, on pourra sans doute compter sur les plantes médicinales. Celles-ci ont évolué avec le temps. Elles existaient bien avant l'apparition de l'homme sur terre, elles ont parfois un code génétique beaucoup plus complexe que nous ; leur adaptabilité dépasse largement quelques molécules qu'on met dans un médicament.
Parcours de Caroline Gagnon
1994 Praticienne en herboristerie clinique
1998-1999 Représente la Guilde dans le processus de création de la filière des plantes médicinales avec le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (Mapaq) du Québec.
1998 à 2000 S'occupe de l'association Trash, pour l'assistance au sevrage de l'héroïne. élaboration d'un protocole à base de plantes, sudation, massage et acupression.
1999 Cofondatrice, de FloraMedicina, école d'herboristerie. Directrice et enseignante au sein de l'école.
1999 à 2014 Collabore à la création du regroupement des herboristes thérapeutes accrédités et à l'élaboration du code de déontologie au sein de la Guilde des herboristes.
2007 Commence à donner des conférences notamment aux États-Unis. En tant que professeure, elle est invitée dans diverses écoles d'herboristerie américaines.
2016 Présidente du conseil d'administration de la Guilde des herboristes du Québec.
2019-2020 Souhaite porter la voix de l'herboristerie auprès d'instances internationales telles l'Unesco.
La Guilde accrédite les herboristes
Fondée en 1995 au Québec, l'association la Guilde des herboristes entend sauvegarder l'art de guérir avec les plantes et valoriser l'herboristerie considérée comme un héritage collectif. La Guilde regroupe des amateurs, des chercheurs, des jardiniers, des producteurs, bref toute personne passionnée par les plantes. D'autre part, depuis 2006, la Guilde est chargée d'accréditer les herboristes thérapeutes. Ces derniers déposent un dossier évalué par leurs pairs (qui s'assurent de leurs connaissances, de leur éthique). Au Québec, l'herboriste n'a pas de statut particulier au niveau légal, mais il est reconnu par ses confrères. Une démarche vertueuse pour Caroline Gagnon : « Les pairs ont tout intérêt à réguler leurs confrères et consœurs parce que si ces derniers sont frauduleux, cela entache toute la réputation de la profession, et si cela arrive elle n'aura plus beaucoup de marge de manœuvre. »