Dr Qing Li : « Le bain de forêt est une thérapie qui nous est offerte par la nature »
Grâce à l’opiniâtreté du Dr Li, la tradition japonaise du Shinrin Yoku (bains de forêt) a acquis une reconnaissance scientifique internationale en à peine plus de dix ans. Alors qu’il vient de publier un ouvrage faisant la synthèse de ses travaux, il évoque les multiples aspects de cette discipline censée réduire le risque des maladies de notre civilisation... trop coupée de la nature.
Plantes & Santé. Comment avez-vous compris que les bains de forêt pouvaient devenir une science et une médecine à part entière ?
Dr Qing Li. Cela remonte à 1988, alors que j’étais à l’université de Kagoshima pour écrire un doctorat. Je suis allé camper pendant une semaine sur l’île de Yakushima au moment de la Golden week (enchaînement de quatre jours fériés en avril et début mai, NDLR). C’est une petite île située dans le sud de l’archipel, où se trouvent des forêts parmi les plus préservées. Frappé par ce paysage, j’ai beaucoup repensé à mon enfance, au cours de laquelle j’ai longtemps côtoyé un bois d’abricotiers. J’ai éprouvé au cours de ce séjour une sensation très forte de bien-être et je me suis dit qu’il fallait approfondir. Ayant déjà obtenu un diplôme de médecin en Chine, j’ai tout de suite pensé à mieux comprendre les bénfices que l’on pouvait en retirer pour notre santé.
Au Japon, un programme sanitaire national en faveur des bains de forêt a été mis en place dès 1982. En quoi cela consiste-t-il ?
En effet, cette pratique existait même si elle n’était pas scientifiquement étudiée. En 1982, l’agence forestière a lancé une grande campagne autour de la sylvothérapie. Le stress devenait un gros problème de société. Le gouvernement a aussi eu cette idée, car l’amour de la nature est très ancré chez les Japonais. Il y a donc un aspect culturel très fort qui explique que les Japonais se soient alors assez vite approprié cette approche. Enfin, la nature japonaise permettait de promouvoir la sylvothérapie : les deux tiers du pays sont recouverts de forêt.
Il a tout de même fallu attendre 2004 pour que démarre la première étude sur les liens entre bains de forêt et santé...
Oui, la première étude scientifique sérieuse subventionnée par le gouvernement japonais n’a démarré qu’en 2004… Autour de moi, les collègues se montraient plutôt dubitatifs sur ce choix de recherche. Mais de mon côté, j’étais très confiant. Il faut dire que j’avais travaillé auparavant sur la médecine environnementale et sur l’impact négatif de la pollution, des engrais, des pesticides, des métaux lourds, du stress... Par conséquent, le fait qu’un environnement naturel, préservé puisse avoir un impact sur notre santé me semblait évident. Par ailleurs, en tant qu’immunologiste, j’avais beaucoup étudié l’effet néfaste du stress sur notre système immunitaire. Alors, si la forêt fait baisser le stress comme je l’avais ressenti, cela valait le coup d’aller plus loin.
Vous avez mis en évidence différents bienfaits des bains de forêt (baisse de la pression artérielle, du taux de cortisol, de l’adrénaline, amélioration de l’immunité)... Quelle amélioration de notre santé vous semble la plus significative ?
Je pense que c’est cette capacité des bains de forêt à renforcer notre système immunitaire qui est primordiale et centrale. Partout dans le monde, on assiste en effet à la multiplication des cancers. Or, il a été prouvé que lorsque le système immunitaire était renforcé, cela pouvait avoir un effet préventif sur le cancer.
Le Dr Li a montré dès sa première étude que les bains de forêt renforçaient le système immunitaire. Comment ? Il a constaté que l’activité des cellules tueuses naturelles (les lymphocytes NK) est passée de 17,3 % à 26,5 %, tandis que leur nombre a augmenté de 50 %. De plus, la présence de plusieurs protéines anticancer (apportant leur concours aux cellules tueuses pour éliminer les cellules indésirables) a été renforcée. La granulysine avait augmenté de 48 %, la granzyme A de 39 %, la granzyme B de 33 % et la perforine de 28 %. Ces effets ont pu être mesurés après trois jours et deux nuits passés en forêt. De plus, une autre étude a pu montrer que cette amélioration durait jusqu’à 30 jours.
Vous avez aussi mis en évidence l’effet de certaines molécules aromatiques libérées par les arbres, (les phytoncides). Cette action est-elle comparable à l’aromathérapie ?
Il y a certes des points communs avec l’aromathérapie, et on peut dire que l’aromathérapie est un des aspects de la sylvothérapie. Mais c’est tout de même très différent. L’aromathérapie va être utilisée dans une action plus directe, comme des massages. Quand on parle de Shinrin Yoku, on va en forêt pour inhaler directement les phytoncides. Ainsi, la sylvothérapie est une thérapie complètement naturelle. Si vous voulez utiliser des huiles essentielles, il faut les fabriquer, vous devez les acheter, alors qu’avec la sylvothérapie on bénéficie des molécules aromatiques gratuitement. C’est une thérapie qui nous est offerte par la nature.
Comment les Japonais la pratiquent-ils ?
Depuis que nous avons pu montrer l’intérêt des bains de forêt pour la santé, 62 centres de sylvothérapie ont été certifiés. Environ 5 millions de Japonais s’y rendent chaque année. On peut s’y rendre seul, ou suivre des séances organisées pour des groupes. Différentes pratiques se sont mises en place. Et comme les personnes y trouvent un apaisement, une relaxation, souvent ces pratiquants deviennent des adeptes.
Vous parlez aussi de consultation en médecine de la forêt. En quoi cela consiste-t-il ?
Lors d’une consultation en médecine de la forêt, on ne fait pas vraiment de diagnostic. Mais, par exemple, dans certains centres, on va mesurer la tension artérielle des pratiquants avant et après le bain de forêt, ce qui permet de mesurer l’évolution du niveau de stress. À proximité de la forêt d’Akasawa, où l’on dit que la sylvothérapie est née, des médecins proches de ce parc suivent médicalement leurs patients adeptes des bains de forêt : ils font des analyses de sang, prennent la tension artérielle de façon systématique avant et après les séances. De plus, ces données sont facilement consultables. Ainsi, grâce à cette coopération des médecins, les chercheurs disposent d’une base de données très intéressante.
La pratique du Shinrin Yoku est-elle accessible à tous ?
N’importe qui peut pratiquer le Shinrin Yoku dès lors que l’on a une forêt près de chez soi. Et s’il ne vous est pas possible de vous rendre en forêt, je peux vous conseiller les parcs ou n’importe quel lieu où il y a des arbres. Pas besoin de qualités particulières, car cela consiste à passer du temps en forêt, à profiter de la présence des arbres en faisant ce qui vous plaît. Cet effet que nous avons étudié pourra tout à fait être ressenti par une personne qui n’est pas allée en forêt depuis très longtemps. Mais il est clair que pour que l’organisme en ressente vraiment les bienfaits, il faut s’y rendre régulièrement. Le critère de la régularité est très important. Dans l’idéal, les bains de forêt devraient s’intégrer à notre mode de vie.
« Vous allez marcher lentement sans aucun but pendant deux heures. Vous n’avez pas besoin de ces appareils (les téléphones, NDLR). Laissez-vous guider par votre corps. Écoutez où il souhaite vous emmener. Suivez votre odorat. Et prenez votre temps. Peu importe si vous n’arrivez nulle part. Vous n’allez nulle part. Vous savourez les sons, les odeurs et les images de la nature en vous laissant imprégner de la forêt. Vos cinq sens sont la clé pour libérer le pouvoir de la forêt. »
Extrait du livre Shinrin Yoku.
De votre point de vue, qu’est-ce qu’un bon site de sylvothérapie ?
Je ne pense pas qu’il y ait de forêt idéale pour pratiquer la sylvothérapie. Toutefois, il est vrai que trois éléments sont importants : la densité des arbres (plus c’est dense, plus on constatera un effet) ; la taille des arbres (plus ils sont hauts, mieux c’est) ; enfin, la superficie de la forêt, du bois ou du parc où l’on va se promener. Le monde naturel constitue le meilleur environnement.
Vous évoquez d’autres études relatives aux effets positifs de la fréquentation de la nature sur notre santé. Peut-on parler d’une nouvelle orientation de la science médicale ?
Certes, quand j’ai commencé mes recherches, ce champ était complètement vierge. Il n’y avait aucune donnée. Mais quand mes premiers articles sont parus, d’autres chercheurs, coréens, chinois, se sont mis à publier aussi, et j’ai donc l’impression qu’un grand mouvement s’est créé ces dernières années chez les scientifiques. En Europe, il y avait aussi des recherches sur le sujet, mais les Européens s’intéressent plus aux effets psychologiques du bien-être dû aux arbres, alors qu’au Japon on s’est intéressé aux effets physiologiques procurés par les arbres, et on les a quantifiés. En fait, avec l’urbanisation qui ne cesse de se développer, avec les niveaux de stress qui en découlent, nous sommes en train de comprendre que notre santé est impactée par ce nouveau mode de vie, et que le manque de nature a un aspect négatif tant sur le plan de notre santé personnelle qu’au niveau de la société. La sylvothérapie a participé à cette prise de conscience. La nouveauté est aussi que ces études sont menées par des médecins. Moi-même, je suis spécialisé en médecine environnementale et en immunologie, et c’est pour cela que la sylvothérapie a pu être un déclencheur de cette prise de conscience.
Quelle orientation prennent actuellement vos recherches ?
Jusque-là notre intérêt s’était porté sur des personnes en bonne santé, et nous avons pu démontrer l’aspect préventif. Désormais, nous nous intéressons aux effets de la sylvothérapie sur les personnes déjà touchées par la maladie, pour voir si cette médecine préventive peut s’envisager comme une médecine de traitement. Une première série de résultats ont été publiés sur des personnes souffrant d’hypertension. On a comparé la tension chez des individus ayant passé un dimanche entier en ville et d’autres en forêt. On a pu mettre en évidence une baisse de 7 à 8 mmHg sur une journée pour ces derniers. Nous sommes par ailleurs en train de récolter des données sur les personnes touchées par la dépression. Nous nous intéressons aussi à d’autres maladies liées à notre mode de vie comme le diabète, etc.
Aujourd’hui, le Shinrin Yoku devient populaire dans le monde entier. En êtes-vous surpris ?
Oui, je suis très surpris du succès des bains de forêt un peu partout dans le monde. Mon livre est déjà publié et traduit dans 20 pays. Je ne m’y attendais pas du tout...
Parcours
1984. Diplômé en médecine de l’université de Shanxi (Chine).
1988. Début de son doctorat à l’université de Kagoshima (Japon).
1992. Obtient son doctorat. 2001- 2002 Cours à l’université Stanford (USA).
2004. Création du groupe d’étude sur la sylvothérapie et début de la première étude scientifique.
2005. Premières expériences de bains de forêt.
2007. Première publication scientifique en anglais dans laquelle apparaît la traduction du mot japonais Shinrin Yoku, « forest bathing ».
2012. Publication à New York du livre Forest Medicine, destiné à un public scientifique.
Mars 2018. Publication du livre Shinrin Yoku d’abord aux Pays Bas, en France et bientôt traduit en 20 langues.