Philippe Clergeau « Plus on végétalise la ville, plus on rend service aux citadins »
Professeur d'écologie urbaine, Philippe Clergeau mène des études sur l'installation de la biodiversité en ville avec des approches d'urbanisme et d'organisation des territoires. Quelle nature intégrer à la ville ? Peut-elle nous aider à lutter contre l'émergence de virus ? Le chercheur du Muséum d'histoire naturelle nous livre ses réflexions.
Plantes & Santé Votre dernier ouvrage s’intitule Urbanisme et biodiversité. Quels sont aujourd’hui les enjeux pour combiner ces deux notions ?
Philippe Clergeau Il faut végétaliser la ville, car la nature rend de nombreux services aux citadins. En plus du côté agréable que la végétation fournit, elle régule un certain nombre de problèmes de la ville. Mais la végétalisation actuelle n’est ni durable ni résiliente. On utilise quelques espèces performantes, tel le platane qui supporte tout, la sécheresse comme la pollution. Seulement, il y a une fragilité évidente, car c’est de la monoculture. Un accident sanitaire ou climatique pourrait faire disparaître tous les arbres de la cité. Il faut avoir des objectifs de durabilité et de fonctionnement.
Nous sommes quelques-uns à défendre l’installation d’une véritable biodiversité, qui inclut une richesse en espèces, en gènes, en écosystèmes et en interrelations. Cette perspective intègre la ville non seulement dans un fonctionnement écologique régional, mais elle permet aussi une certaine durabilité et une résilience. La ville doit participer à la protection et à la conservation de cette biodiversité.
P & S Si l’on fait le lien avec l’actualité liée au Covid-19, est-ce que la biodiversité peut être une alliée pour lutter contre l’émergence des virus ?
P. C. C’est une position que l’on a, pour les villes européennes en tout cas. Plus il y a d’espèces présentes, plus on observe une dilution des problèmes, comme les transferts de germes, donc de potentialité de pandémie. Certaines études montrent que plus il y a d’espèces hôtes potentielles, moins l’humain serait touché. Par ailleurs, beaucoup de problèmes risquent d’arriver avec des insectes comme les moustiques. En développant plus de prédateurs de ces insectes, comme les chauves-souris, les oiseaux ou les lézards, on peut limiter ces propagations.
P & S Lorsqu’on parle de végétalisation, quelle nature doit-on intégrer à la ville pour en faire un espace plus sain ?
P. C. On cherche d’abord à savoir si les espèces locales peuvent s’installer en ville. Pour avoir une chaîne alimentaire et des écosystèmes, il faut un sol cohérent et des plantations cohérentes. Certaines espèces jolies et résistantes sont promues, mais il y a aussi des listes noires à éviter comme les plantes envahissantes. Une autre liste utilisée concerne les allergènes. Architectes et paysagistes travaillent ensemble pour éviter d’implanter certaines plantes comme le bouleau, source d’allergies quand il est présent en grande quantité.
P & S Vous étudiez le comportement des plantes en ville, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
P. C. Nous testons, par exemple, des chèvrefeuilles, des ronces de la forêt, des rosiers sauvages. Certaines plantes ne supportent pas les courants d’air chaud, la pollution ou les supports pour grimper auxquels elles ne sont pas habituées. Ces tests permettent de voir quelles plantes sont les plus adaptées. Nous travaillons aussi sur les toits végétalisés en termes de substrat et d’organisation de végétaux. Nous recherchons comment, sous de fortes contraintes urbaines, des espèces parviennent à se développer et à se reproduire, et comment certains végétaux horticoles et sauvages peuvent aussi faire écosystème. Ces nouveaux écosystèmes sont appelés des néoécosystèmes.
P & S Quel regard portez-vous sur les initiatives qui sont lancées aujourd’hui, et quelles sont celles qui vous semblent prometteuses ?
P. C. Les toits végétalisés sont une bonne idée, mais pour avoir une biodiversité, il faut être attentif aux plantes que l’on installe et penser à intégrer des plantes mellifères par exemple. Les forêts urbaines que l’on rencontre à Toulouse, Nantes ou Paris constituent également un très beau sujet, avec des objectifs de réduction de niveaux de chaleur. Seulement, que planter ? Si ce sont des forêts que l’on conserve, c’est parfait, car elles fonctionnent déjà. Il faut porter une attention particulière aux types d’espèces implantées et sur ces questions, l’écologue est indispensable.
P & S Quelle est la faisabilité de ces projets ? Est-ce que les maires portent ce genre de réflexions ?
P. C. Cela nécessite de la part des collectivités des appels d’offres qui soient plus ouverts sur l’écologie. À mon sens, le Grenelle de l’environnement a permis un virage très important sur ce sujet et on observe une certaine prise de conscience des pouvoirs publics, y compris des maires. Avec les inondations, les canicules, les pandémies, tout le monde a compris que le réchauffement climatique était une réalité. Des grandes villes comme Lyon ou Bordeaux, redonnent les berges des fleuves aux piétons et aux mobilités douces, tout en ayant des réflexions pour en faire des continuités vertes, voire écologiques. On voit donc apparaître des projets forts.
P & S Comment régule-t-on l’équilibre de cette biodiversité nouvelle ?
P. C. On pourrait craindre que les espèces qui arrivent deviennent trop abondantes, comme les dortoirs d’étourneaux qui peuvent se transformer en source de contamination. Il s’agit d’une décision politique de développement, car cette biodiversité et le plein sol résolvent un certain nombre de problèmes existants. En revanche, il faut peut-être gérer certaines espèces. Sachant que plus elles sont nombreuses, plus elles s’autorégulent entre elles. Et certains comportements doivent changer, comme le nourrissage des animaux qui favorise le développement d’indésirables comme les ragondins en Allemagne, les écureuils gris à Londres, les perruches à Paris… Il faut sensibiliser le public, car on ne peut pas changer la ville et nos comportements sans explications.
P & S Sommes-nous prêts à intégrer autant de biodiversité dans les espaces bétonnés des villes ? Demain, que pouvons-nous vraiment attendre de cette biodiversité ?
P. C. Je crois que cela vient, en tout cas je veux rester optimiste. Avec le Covid-19, on a vu que la société prend encore plus en compte son rapport à la nature. Qu’il s’agisse de la Convention citoyenne ou des collectivités, on voit qu’il y a des choses que l’on ne peut plus faire ou dire. Je pense vraiment que la nécessité de végétaliser a été comprise. Un retour de la biodiversité en ville nous ramène à une qualité de cadre de vie, donc de santé, ainsi qu’une forme de non-déconnexion avec cette nature dont nous avons foncièrement besoin. De nombreux travaux et thèses sont en cours, notamment sur la notion de biophilie [de la racine grecque « bio », la vie et du suffixe « phile », qui aime], ce besoin pour l’homme de voir et même toucher les végétaux. Il y a une vraie volonté de nature, et cela pose des questions à toutes les échelles jusqu’à l’organisation des territoires.
Parcours
1981 Doctorat à l’université de Rennes-I.
1994 Directeur de recherches à l’université de Rennes-I.
1987-2007 Chercheur à l’Inra de Rennes en gestion de la faune sauvage.
Depuis 2007 Professeur d’écologie urbaine au Muséum d’histoire naturelle.
Depuis 2011 Consultant en urbanisme écologique.
2011-2014 Analyse d’urbanisme durable de la ville de Toulouse.
2015 Publication de Manifeste pour la ville biodiversitaire (éditions Apogée).
Depuis 2019 Assistance à la maîtrise d’ouvrage en écologie pour la ville de Gennevilliers.
2020 Publication de l’ouvrage Urbanisme et biodiversité (éditions Apogée).
Des corridors de biodiversité urbains
Les corridors de biodiversité, ou corridors écologiques, visent à constituer un maillage de milieux naturels pour que les espèces animales et végétales puissent circuler. Encore peu, voire pas pris en compte en ville par les paysagistes et les urbanistes, ces corridors sont pourtant au cœur de tout projet d’écosystème. Ils sont essentiels pour que les espèces disposent des espaces nécessaires à leurs cycles vitaux comme la reproduction et le brassage génétique. Ces corridors écologiques sont également un facteur majeur de résilience : ils permettent qu’en cas de perturbation d’un espace (incendie, inondation), celui-ci soit repeuplé rapidement et naturellement grâce à la communication rendue possible entre ces espaces, comme des connexions entre les parcs ou les squares en ville.