Olivier Toma « Il faut une politique qui limite l'impact écologique de l'hôpital »
Avec la crise du Covid-19, notre attention s'est beaucoup portée sur notre système hospitalier. Cofondateur et porte-parole de l'association Comité pour le développement durable en santé (C2DS), Olivier Toma milite pour un hôpital qui devienne plus responsable et plus durable sur le plan écologique. Il interpelle les pouvoirs publics pour une véritable gestion écoresponsable.
Plantes & Santé : Il y a quelques années, vous avez cofondé l'association Comité pour le développement durable en santé (C2DS) qui regroupe aujourd'hui 500 établissements sanitaires ou hospitaliers. Dans quel but ?
Olivier Toma : Nous avions, et nous avons toujours trois objectifs. Identifier les bonnes pratiques environnementales à l'hôpital. Puis, les mutualiser tout en arrivant à faire travailler les acteurs du public avec ceux du privé. Et enfin, dénoncer les mauvaises pratiques. Quand on sait, par exemple, que les biberons à usage unique proposés aux bébés en maternité sont vecteurs de perturbateurs endocriniens, on le dénonce. Pour la santé humaine et l'environnement, il vaudrait mieux offrir trois biberons en verre lavables aux jeunes mamans plutôt que d'utiliser huit biberons par jour, en plastique, à usage unique qui vont finir en déchetterie. C'est une vision à court terme qui fragilise le système de santé. C'est la même chose avec les montagnes de masques usagés. Or, une entreprise française propose de les récupérer et de les recycler en… bancs de jardin.
P & S : Votre démarche est-elle soutenue par les pouvoirs publics ?
O. T : Aujourd'hui, les hôpitaux ne font toujours pas l'objet d'un classement de leur impact sur l'environnement. Et pourtant, il est majeur. Les professionnels de l'hôpital le savent et commencent à faire des choses par eux-mêmes, de leurs côtés et avec les moyens du bord. Mais il faut mettre en place une politique globale qui améliorera le service rendu, limitera cet impact et fera faire des économies à tous, à commencer par la sécurité sociale. Nous essayons de convaincre les politiques de raisonner à long terme. Mais aux ministères de la santé et de l'environnement, les prises de conscience ne se concrétisent malheureusement par aucun budget. C'est pourquoi nous demandons la création d'une agence de recherches et de développement de la santé environnementale et d'un fond destiné à la transition énergétique de nos hôpitaux. Dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat (ndlr : 2015, COP 21), il est impensable que l'hôpital continue à ne pas être soutenu et encouragé. Certes le Ségur de la santé prévoit plusieurs mesures pour un hôpital plus écoresponsable, mais toujours sans budget.
P & S : Justement, l'hôpital produit beaucoup de déchets. Comment sont-ils pris en charge ?
O. T : L'hôpital génère 60 sortes de déchets différents. Outre les déchets contaminés (par le Covid-19 mais pas seulement) qui nécessitent une incinération spéciale, peu d'entre eux sont traités. Et pour la plupart même pas triés car les filières de traitement sont inexistantes. À l'hôpital, il n'existe pas de filière pour les médicaments périmés comme la filière Cyclamed mise en place chez les pharmaciens pour les particuliers. Savez-vous que le verre médicamenteux des bouteilles de sirop ou des seringues n'est pas récupéré ? Il représente 10 000 à 20 000 tonnes par an ! Pas de filière non plus pour les bonbonnes de gaz en aluminium qui pourraient être revendues et refondues. Et les dispositifs médicaux comme les prothèses ou les piles cardiaques qui renferment de l'or, du titane ou du platine ? On préfère les incinérer alors qu'ils renferment des métaux précieux. Je ne parle même pas du tri des papiers… Pour permettre à l'hôpital de mettre en place ces filières, on pourrait commencer par défiscaliser ces services avec une TVA réduite.
P & S : L'hôpital est un gros consommateur d'instruments à usage unique. Peut-on envisager de limiter ces usages comme pour nos objets du quotidien ?
O. T : On a tout mis en œuvre autour de l'idée de l'usage unique : blouses, masques, assiettes, biberons, instruments chirurgicaux, etc. Au départ pour limiter les contaminations, mais avec trop de zèle aujourd'hui. Prenons le cas des ciseaux en métal qui servent à couper le cordon ombilical ; ils ne servent qu'une seule fois et sont détruits par incinération. Or, on peut légitimement se poser la question du retour à un usage multiple et à la stérilisation. Ou, au moins, de les recycler. Sans parler du fait que beaucoup de ces instruments peuvent être en plastique.
P & S : Et pour les économies d'énergie, des actions peuvent-elles être envisagées ?
O. T : Un hôpital consomme 500 kW/h et par m2 contre 50 kW/h pour un autre bâtiment neuf. Un plan pour économiser l'énergie est donc une nécessité. D'abord parce que beaucoup de ces vieux bâtiments sont des passoires énergétiques qu'il faut rénover, mais aussi à cause de pratiques qui favorisent le gaspillage. Les salles d'opération sont climatisées en permanence, même lorsqu'elles ne sont pas occupées ; on pourrait les éteindre. On peut aussi envisager de chauffer les bâtiments différemment. C'est ce qu'a fait l'hôpital de Carcassonne qui a installé des panneaux solaires. Mais, pour financer ses transformations, il a dû lancer un crowdfunding. C'est donc la générosité des habitants de la région qui a payé la transition énergétique de cet établissement public, celui-ci n'ayant pas de budget spécifique. Rappelons que la loi Élan demande de réduire de 40 % la consommation d'énergie des bâtiments d'ici à 2030. D'où notre demande de création d'un fond pour la rénovation énergétique.
P & S : Pour lutter contre les maladies nosocomiales, les locaux sont régulièrement nettoyés avec des désinfectants chimiques. Nuisent-ils à l'environnement et quelles en sont les alternatives ?
O. T : Pour nettoyer, nous avons pris l'habitude d'employer des désinfectants chimiques. À l'hôpital comme ailleurs. S'il est impératif que l'antibactérien triclosan soit présent sur les fils de suture chirurgicaux pour limiter les infections, il n'est pas nécessaire de l'employer pour désinfecter tout l'hôpital. Ces biocides sont très peu biodégradables. Ils entraînent des émanations toxiques et peuvent agir sur le microbiote. Enfin, leur utilisation régulière concourt au développement de bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Des multirésistances qui font tout de même 9 000 à 12 000 morts chaque année. Or, on pourrait se passer d'au moins 50 % de ces produits en nettoyant les sols à la vapeur, ou en utilisant des nettoyants biosourcés et biodégradables, à base de probiotiques. Enfin, des recherches ont montré que le nettoyage des surfaces planes avec des lingettes en microfibre et de l'eau est efficace.
P & S : Le personnel des hôpitaux est-il suffisamment sensibilisé aux enjeux environnementaux ?
O. T : Pas encore. Le concept de One Health qui met en lien la santé humaine, la santé animale et l'état écologique de la planète n'est pas encore intégré. Bien que l'épidémie de Covid-19 ait été révélatrice. La santé environnementale n'est pas au programme des études de médecine. Et il n'y a pas de pont entre la formation en médecine vétérinaire et la formation en médecine humaine alors que 60 % des épidémies ont une origine animale. Il y a encore fort à faire.
Parcours
1996 Diplôme de management supérieur ICG à Toulouse
1996 – 2009 Directeur d'hôpitaux privés
2005 Cofondateur et président du C2DS
Depuis 2010 Pilote du diplôme universitaire Droit et gestion de l'environnement et du développement durable, à la faculté de Montpellier
2010 Coauteur de l'ouvrage Le développement durable et solidaire en santé. Les Études hospitalières (LEH)
2012 Parution de Hippocrate au secours. Comment bâtir un système de santé durable. éd. Pearson
2017 Président de la start-up Weakt
2020 – 2021 Porte-parole puis chargé du plaidoyer du C2DS.