Alexandre Guilluy « Il y a encore beaucoup à faire pour sensibiliser les citoyens au compost »
La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a rendu le tri des biodéchets obligatoire pour tout un chacun dès janvier 2024. Mais les particuliers peuvent se sentir démunis. Alex Guilluy, cofondateur de l'entreprise solidaire d'utilité sociale Les Alchimistes, un des premiers collecteurs-composteurs urbains, s'attache à rendre le compostage facile et local.
Plantes & Santé : À partir de janvier 2024, les particuliers seront dans l'obligation de trier leurs biodéchets. Cela suffira-t-il à amener le compostage dans tous les foyers, notamment urbains ?
Alexandre Guilluy : Tout d'abord, il ne suffit pas d'émettre des lois pour convaincre la population de composter. Cependant, elles ont eu le mérite de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, notamment au niveau des collectivités qui sont chargées de proposer des solutions de tri et de valorisation des biodéchets à leurs administrés. Chez les Alchimistes, nous nous concentrons sur les problématiques des zones urbaines en proposant des solutions spécifiques incluant des bornes d'apport volontaire dans lesquelles les habitants déversent directement leurs biodéchets. Cela est associé à une récolte régulière en fonction de la démographie, des obligations sanitaires et des habitudes alimentaires des habitants. De plus, nous avons édifié nos sites de compostage au plus près des centres urbains afin de réduire l'impact carbone de nos camions collecteurs. Aujourd'hui, ce système s'adresse aux professionnels, et aux particuliers dans le cadre d'accords avec les collectivités, dont celle de Paris et Lyon. Et nous constatons un véritable engouement ! Par exemple, 2 000 tonnes de biodéchets incluant ceux des professionnels ont été traitées sur notre site lyonnais en 2021. Même si les collectivités et associations s'engagent de plus en plus dans cette démarche, le pouvoir reste entre les mains des citoyens qui s'impliqueront ou non dans le tri des biodéchets. La bataille n'est pas encore gagnée. Nous avons tous pu constater que cela a pris du temps pour les questions de recyclage.
P & S. Comment sensibiliser au compostage ?
A. G. Le tri des biodéchets et le compostage nous permettent de mieux gérer nos déchets, mais également de rendre à la terre sa richesse et sa fertilité. Tout le monde sait qu'il faut éteindre la lumière ou ne pas gaspiller l'eau, mais pas forcément comment préserver nos sols. Cette logique de symbiose avec la terre doit être la pierre angulaire de toute démarche de sensibilisation au compost et s'inscrit dans les fondements même des Alchimistes. Nous la véhiculons à travers l'accessibilité de nos sites ou encore des conférences. En mars, notre webinaire sur comment mettre en place le tri à la source des biodéchets, a regroupé plus de sept cents inscrits, incluant de nombreuses collectivités.
Le compost, ça s'apprend !
Du 26 mars au 10 avril aura lieu la 9e édition de « Tous au compost ! », organisée par l'association Réseau compost citoyen. Cette année, on s'intéresse au lien entre le contenu de notre assiette et le soin des sols. Des centaines d'associations, des professionnels, des collectivités et des citoyens se sont ainsi regroupés pour organiser près d'un millier d'actions en bas des immeubles, dans des jardins partagés, des quartiers, des hameaux, et ce dans toute la France. La loi AGEC sera au centre de cet événement national visant à sensibiliser le grand public sur la prévention et la gestion de proximité de nos déchets organiques. Pour savoir s'il existe une animation près de chez vous, rendez-vous sur Tousaucompost.fr
P & S. Quels sont les modes de traitement des déchets organiques actuels, et pourquoi favoriser le compostage ?
A. G. Aujourd'hui, les déchets organiques et/ou alimentaires représentent 30 % du contenu des poubelles françaises et 70 % de ces biodéchets sont généralement brûlés ou enfouis. Pour pallier ces modes de traitement polluants, deux alternatives de valorisation des biodéchets existent : le compostage ou la méthanisation. Chez les Alchimistes, nous avons choisi le compostage, d'une part parce qu'il est techniquement plus simple et moins coûteux à mettre en place. D'autre part, le compostage favorise le retour de la matière organique aux sols et nous paraît plus accessible pour les petites structures agricoles, les particuliers ou les collectivités. La vente de notre compost vise aussi une valorisation locale des sols. En comparaison, la méthanisation a pour principal objectif de produire du biogaz et non de restituer au sol sa richesse. Le digestat, sous-produit de la méthanisation, pourrait remplir ce rôle. Or il possède encore aujourd'hui un statut de sous-déchet qui nécessite des autorisations spécifiques pour être épandu. En outre, la méthanisation se fait traditionnellement et pour des raisons techniques auprès d'agriculteurs possédant de grands terrains d'exploitation éloignés des centres urbains.
P & S. Quelles sont les difficultés à produire du compost à l'échelle micro-industrielle ?
A. G. Une des premières difficultés est de pouvoir gérer les grandes quantités de biodéchets et de les transformer en compost bien équilibré en azote et carbone, avec un bon taux d'humidité. Pour cela, nous utilisons des composteurs à fermentation aérobie, équipés d'un système de brassage électromécanique qui permet d'accélérer le processus de dégradation, notamment pour des raisons sanitaires. D'autre part, il est impératif d'effectuer un second tri au niveau du site. En effet, il peut arriver que les gens soient peu regardants et laissent des déchets de type plastique ou autres qu'alimentaires. Pour y remédier, nous avons décidé d'adapter la facture pour les mauvais trieurs… et ça marche ! Enfin, il nous est déjà arrivé d'avoir à composer avec une base de matière organique beaucoup trop humide. Nous sommes alors obligés de presser la matière afin de la dégorger de son jus. Pour valoriser tout de même ce sous-déchet, nous le récupérons pour qu'il puisse être méthanisé en dehors du circuit des Alchimistes.
P & S. Vos composts sont bio et utilisables en agriculture biologique, pourtant les déchets que vous récupérez ne sont pas forcément tous bio ?
A. G. Il n'est effectivement pas possible de demander à nos usagers de ne consommer que du bio. Cependant, le travail des bactéries et de leurs enzymes, qui entre en jeu dans un compostage aérobique, permet notamment de casser les molécules des pesticides et autres produits chimiques utilisés en agriculture conventionnelle. Nous sommes également très attentifs aux microplastiques et aux métaux qui peuvent se retrouver dans les déchets alimentaires, notamment de viande ou de poisson. Nous réalisons ainsi des tests qui nous permettent de répondre à la norme de la certification bio de notre compost. En outre, nous compostons les plastiques biosourcés à base de matières végétales et renouvelables (en fécule de pommes de terre…). Ce qui permet de contribuer à refermer la boucle compostage/recyclage.
P & S. Est-ce qu'aujourd'hui, l'industrialisation du compostage est un passage obligé ?
A. G. Dans l'absolu, il serait idéal de ne pas avoir recours aux machines pour faire du compost. D'ailleurs, lorsque nous nous adressons à des collectivités en zones rurales, nous préférons les réorienter vers les composteurs de type individuels, plus simples, moins coûteux et plus écologiques. Moi-même, j'ai la chance d'avoir un bout de jardin où j'ai pu installer un composteur artisanal. Cependant, tout le monde n'a pas ce luxe, notamment en milieu urbain, c'est pourquoi on se doit de réfléchir à des solutions viables et pérennes.
Parcours
2002 Diplômé de l'EDHEC Business School.
2004 Dirigeant d'Ateliers sans frontières.
2010 Directeur du développement de C'developpement.
2015 Directeur du développement d'ETIC.
2016 Cofondateur et président des Alchimistes.
2016 Installation du premier site de compostage dans le XIVe arrondissement de Paris.
2019 Lancement de sites démonstratifs à Toulouse, Toulon, Lyon.
2020 Les Alchimistes obtiennent des financements supplémentaires. étude de la compostabilité des couches-culottes.
2021 Développement du compostage à Lyon et Paris.