Juliette Cheriki-Nort « La nature nous aide à prendre conscience de notre identité »
Se sentir exister grâce à l'environnement naturel, tel est le credo de Juliette Cheriki-Nort. Lors de ses séances en plein air, cette écothérapeute s'appuie sur la médiation par la nature pour aider les personnes à se retrouver et à raviver leur élan vital.
Plantes & Santé De quelle manière l’environnement joue-t-il un rôle dans votre pratique thérapeutique ? Qu’est-ce que l’écothérapie ?
Juliette Cheriki-Nort Dans mon approche, je considère la nature et l’environnement comme des médiateurs thérapeutiques. Notre personnalité se forge grâce à divers éléments : avec nos familles, amis, professeurs (hétéroformation), par nous-mêmes (autoformation), mais également par le biais de notre environnement, c’est ce qu’on appelle l’écoformation. Ce terme a été initié par Gaston Pineau, professeur en sciences de l’éducation. « Éco » venant du grec oïkos qui signifie habitat, l’écoformation désigne la manière dont l’environnement représente un habitat constitutif de l’identité humaine. Nous y puisons nos ressources biologiques vitales mais aussi psychologiques et mentales, selon les travaux de Dominique Cottereau, docteure en sciences de l’éducation. En tant qu’écothérapeute, j’aide les personnes à prendre conscience de leur identité d’êtres vivants par le contact avec la nature.
P & S Pouvez-vous donner un exemple de la façon dont l’environnement influe sur l’identité ?
J. C.-N. Si une personne habite dans un environnement maritime, elle aura l’habitude d’horizons immenses. Son rapport à la vastitude, à l’espace ne sera pas le même que celui d’une personne vivant près d’une forêt où les arbres cachent souvent la vue. Ces deux individus développeront des relations certainement différentes à l’espace, des besoins de voir loin ou plus proche, de sentir le vent ou non… Dans l’écoformation, l’air, l’eau et la terre constituent des éléments importants qui forgent la manière dont on habite corporellement et mentalement notre environnement.
P & S Comment se déroulent concrètement vos séances de psychopraticienne en écothérapie ?
J. C.-N. J’accompagne des adultes, des adolescents et des enfants qui souffrent d’anxiété, de dépression, de troubles de la santé mentale ou qui présentent des difficultés d’intégration. Dans ces moments d’angoisse, on reste très à l’intérieur de soi, dans une forme de mentalisation, de rumination, en étant très peu en contact avec l’environnement. D’ailleurs, je constate que ce manque de relation avec la nature joue aussi sur le phénomène d’éco-anxiété [sentiment d’impuissance et de déprime face à la dégradation des écosystèmes liée aux changements climatiques, ndlr]. Je l’ai vu chez de jeunes lycéens, notamment citadins, qui se mobilisent sur les réseaux sociaux, s’inquiètent de l’avenir de la planète tout en étant assez déconnectés du milieu naturel. Or ils pourraient, en se promenant, se rassurer en constatant toute la capacité de résilience des plantes même lorsqu’on les dévaste… Je crois que pour l’éco-anxiété comme pour d’autres angoisses, nous sommes face à des crises existentielles avec cette question centrale : qui suis-je dans ce monde incertain ? C’est pourquoi je pratique mes séances en pleine nature pour renouer en premier lieu la relation sensorielle au vivant. Regarder les arbres et les plantes, les toucher, sentir l’air sur son corps, est un moyen de remettre en avant son propre élan vital. Je choisis un chemin ou des lieux qui font sens, souvent avec des étangs ou des ruisseaux, et je m’appuie sur ce qui se passe dans la nature sans protocole précis, juste des rituels de contes et de poésie. Je me situe dans une approche sensorielle et symbolique pour accompagner les personnes.
P & S Mais comment un arbre ou une plante peuvent-ils aider réellement une personne en souffrance psychique ?
J. C.-N. J’invite à observer la nature et à projeter ses états d’être sur ce qui nous entoure : tiens, aujourd’hui je me sens comment ? Comme ce chêne puissant dont j’aimerais avoir la force, comme celui-ci qui n’a pas encore de feuilles, ou encore comme cet arbre un peu tordu ? La dimension symbolique métaphorique aide la personne à exprimer son mal-être ou son besoin de vitalité. On peut explorer par exemple comment un arbre s’est tordu pour aller chercher de la lumière là où il a trouvé de l’espace, de quelle façon il s’en sort malgré l’adversité. C’est une porte pour demander ensuite : et vous, comment ça s’est passé dans votre vie ? Le « tordu » peut être vu comme une problématique, ou bien comme une capacité d’adaptation utile à un moment de l’existence. La nature se révèle une alliée pour réveiller ou maintenir l’élan vital d’une personne, la mettre en joie devant une orchidée sauvage, stimuler sa force d’émerveillement. Car il est tout aussi important d’exprimer sa souffrance que des moments de joie et de beauté où l’on se sent à sa place ! Un espace d’expression que je leur propose de concrétiser avec le land art : chacun glane du bois coupé, des pommes de pin, quelques fleurs… pour refléter une partie de soi.
Des hêtres cathédrales pour raviver la joie
Majestueux, altiers, les hêtres élèvent leurs troncs à plus de 40 mètres de hauteur et leurs voûtes de feuillage vert tendre « laissent filtrer une lumière de vitrail comme dans un temple païen », s’extasie Juliette Cheriki-Nort. L’écothérapeute pratique volontiers ses séances dans ces forêts de hêtres cathédrales pour « confronter », dit-elle, les personnes à la beauté pure de la nature, susciter des sentiments d’élévation, de joie et d’émerveillement. Ce choc d’émotions positives allié à l’énergie des arbres constitue un cocktail thérapeutique ressourçant pour l’esprit. Une expérience à vivre cet été, surtout si vous allez en Occitanie, dans les Hautes-Alpes ou les Vosges, car les réserves naturelles de la forêt de Massane, du Chapitre-Petit Buëch et du Grand Ventron ont été classées en 2021 au patrimoine mondial de l’Unesco pour leurs hêtraies remarquables.
P & S Et vous, quel élément naturel vous redonne de l’élan vital ?
J. C.-N. Ce sont les arbres… en particulier dans les Ardennes, ceux qu’on appelle les hêtres cathédrales. J’aime leurs troncs gris bien campés qui évoquent des hautes colonnes, tout en contraste avec leur feuillage si délicat… Ils me font penser à ces arbres des mythes de fondation du monde qui font le lien entre le ciel, la terre et le monde souterrain tel l’Yggdrasil, ce frêne légendaire de la mythologie scandinave.
P & S Quels conseils d’écothérapie pourriez-vous donner cet été à nos lecteurs ?
J. C.-N. L’eau est une belle porte d’entrée pour se recharger mentalement. Si vous êtes un peu à plat, les torrents ou eaux vives vont vous apporter une énergie dynamisante. Au contraire, une charge mentale forte peut induire une envie de calme : vous préférerez alors une eau dormante comme un lac ou une mare, pour poser vos idées. Chacun invente ensuite la façon dont il souhaite entrer en contact avec cette eau, en se baignant, en trempant juste un orteil ou en s’asseyant simplement à côté. L’été peut aussi être une occasion de sortir des sentiers battus et de se dire : et si je quittais ce chemin balisé pour entrer dans le sous-bois ? Et si je marchais dans la nuit ou dormais à la belle étoile ? Partir à l’aventure sans savoir ce qu’on va trouver, se laisser surprendre par des traces d’animaux, des fleurs inattendues, des rencontres singulières… S’autoriser un peu de risque, c’est aussi symboliquement réfléchir au sentier connu de son quotidien et à la teinte que l’on choisit de donner à sa vie. Le risque de se dire par exemple : j’ose refuser cette offre d’emploi sécurisée pour aller vers un inconnu qui va m’ouvrir d’autres perspectives. Faire des pas de côté peut offrir d’autres couleurs à notre existence.
Parcours
1994-2003 Animatrice au Centre d’initiation à la nature de Boult-aux-Bois (Ardennes).
1997 Brevet de technicien de l’éducation populaire en animation nature.
2000 Commence à former des travailleurs sociaux à la médiation par la nature.
2002 Éco-interprète - chef de projet en ingénierie de l’éducation à l’environnement.
2011 Découvrir la montagne en famille, éd. Delachaux et Niestlé.
2016 Cinq ans de formation de psychopraticienne.
2019 Installation comme psychopraticienne relationnelle, art-thérapeute, écothérapeute à Rethel (08).
2021 « Accompagner grâce au vivant. Vingt-cinq ans d’animation et de médiation par la nature », Sociographe, hors-série n° 14, 2021.