Georges Oxley « Les plantes sauvages nous sauveront »
La fleur au fusil, c’est le titre de l’ouvrage de George Oxley. Mais pour le biologiste, il ne s’agit pas de s’engager dans une guerre classique. Son combat? Défendre les plantes sauvages. Car il en est convaincu : à la fois comme un indicateur et une ressource face aux problèmes de santé, de nutrition et d’environnement, elles sont le salut de l’humanité.
Plantes & Santé Quelle a été votre motivation d’écrire ce livre qui traite de l’importance des plantes sauvages ?
Georges Oxley Après vingt-cinq ans de travail sur les sols, je me suis rendu compte que nous avions dans notre corps la même vie que dans le sol. Toutes les bactéries, les champignons et les virus qui vivent dans notre tube digestif forment notre biome [aussi appelé microbiote, ndlr] que nous acquérons au cours de notre vie par nos expériences et via notre environnement. De plus, j’ai découvert le caractère bio-indicateur des plantes en travaillant avec l’ethnobotaniste Gérard Ducerf. Il m’a ouvert les yeux : une plante reste en dormance dans le sol puis se réveille quand elle trouve les conditions pour lesquelles elle a évolué. C’est comme si la planète nous parlait dans un langage qu’on commence tout juste à décoder. Elle nous parle d’elle mais aussi de nous-mêmes, puisque nous retrouvons les bactéries du sol dans notre tube digestif. Si nous maltraitons notre terre, cela va se répercuter sur notre santé. Le but de ce livre est donc de montrer que les plantes nous alertent sur l’état de notre planète et de notre santé.
P & S Comment est née votre fascination pour les plantes sauvages ?
G. O. Je suis un gourmand, alors j’ai commencé par vouloir connaître les plantes sauvages comestibles autour de moi. Quand on est capable de se nourrir dans la nature par soi-même, on acquiert un degré de liberté, d’autonomie et un regard sur la planète qui est totalement différent. On acquiert une intimité et une solidarité d’évolution avec elle. Le caractère bio-indicateur des plantes fait aussi qu’en un simple regard, on connaît l’état du sol. On apprend également que, si
la plante pousse à un endroit, c’est pour résoudre des problèmes. Elle aide certains champignons et bactéries, elle pousse pour « remédier », et ce remède pour le sol agit aussi sur notre santé. Prenons le yacon, qui vient des Andes et qu’on appelle aussi la poire de terre : il pousse dans des endroits tellement riches en carbone que les bactéries n’arrivent plus à digérer tous les sucres. C’est comme si elles avaient le diabète. Grâce à ses principes actifs, la plante rééquilibre la population des bactéries pour leur permettre de résister à ces excès de sucres. Or le yacon est utilisé en cas d’insulinorésistance, mais aussi de déséquilibre du côlon : quand on a un excès de Clostridium difficile, ces bactéries qui deviennent pathogènes en trop grande quantité, le yacon permet un rééquilibrage.
P & S Pourquoi dénoncez-vous cette obsession de la science à toujours vouloir isoler les principes actifs des plantes ?
G. O. En 2015, la chercheuse chinoise qui a isolé le principe actif de l’Artemisia annua [l’artémisine, ndlr] contre le paludisme a reçu le prix Nobel. Un paradoxe, puisqu’il y a quelques années on a ni par déconseiller cette molécule car elle n’était plus active contre le paludisme, le parasite étant devenu résistant. En réalité, d’autres molécules de la plante, non reconnues ou isolées par la science initialement, concourraient aussi à son efficacité (voir Plantes & Santé n°163). Les plantes ont une approche complexe du corps humain et des bactéries de notre biome. Elles agissent à différents niveaux, ce qu’un principe actif tout seul ne peut pas faire. Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes dans une mini-révolution scientifique sur ces questions. Au Congo, où je travaille actuellement, j’ai trouvé de nombreux champignons et plantes qui contiennent des principes actifs contre le paludisme. Fleur au fusil ou pas, il nous faut les défendre, car c’est une manière de se soigner pour beaucoup de gens pauvres.
P & S Vous commencez d’ailleurs votre livre par l’histoire du siège de Sarajevo pendant lequel la population a survécu grâce aux plantes sauvages (lire l’encadré). En quoi cette histoire est pour vous emblématique ?
G. O. On n’associe jamais les plantes et la guerre. Dans l’esprit d’un homme, une fleur n’a rien à voir avec la guerre. J’ai pourtant recherché avec mes amis de Sarajevo les plantes qui poussaient derrière les obus. Un obus, ça remue un peu la terre, ça laboure. C’est ce qu’il y a de pire pour un sol. Mais par la suite s’installent rapidement des plantes qui viennent nourrir et soigner, jusqu’aux traumatismes dus aux blessures. À Sarajevo, il y a d’abord le tussilage, qui répare la terre et permet à d’autres plantes de pousser. Il apporte les nutriments et les sucres nécessaires aux champignons mycorhiziens pour refaire leur réseau de surface et aux bactéries de surface pour revivre. En même temps, le tussilage contient beaucoup de sucres qui permettent de réparer la peau, bien utile en cas de blessure de guerre. Mais ce qui est terrible, Tussilage (Tussilago farfara) c’est que mes amis à Sarajevo ont oublié qu’ils ont survécu grâce à ces plantes, tussilage, millepertuis, ortie. Une fois la guerre finie, ils ont voulu retrouver la modernité. Tout comme nous, au 20e siècle, avons chassé nos traditions, attirés par le fantasme du progrès, cette chose artificielle créée par l’humain. C’est ce rejet total des plantes sauvages que j’ai voulu montrer à travers cette histoire.
P & S Vous faites aussi l’apologie de la permaculture dans votre ouvrage. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette pratique agricole ?
G. O. En agriculture, la diversité et l’opulence sont essentielles, à l’inverse de notre tendance productiviste à toujours rechercher uniformité et concurrence. On retrouve l’intérêt de cette diversité en permaculture. C’est ce que j’essaye de démontrer au Congo : sans couper les arbres, les champs en permaculture sont cinq fois plus productifs. Quand on fait de la permaculture, il faut apprendre à connaître les plantes sauvages car nombre de « mauvaises herbes » sont absolument délicieuses. Je m’indigne quand je vois les gens arracher le chénopode, l’une des plantes les plus nourrissantes, aussi riche en calcium qu’un verre de lait et aussi protéinée que la viande bovine. Les plantes offrent autant d’espoirs que de solutions.
Parcours
1995 Création de la société SOS SOiL (Save Our Soils)
2001 Conseil auprès de la Fondation royale de Thaïlande au Triangle d’Or.
2004 Lancement du projet Tika Papa pour la biodiversité de la pomme de terre des Andes.
2006 Médaille d’or de la FAO pour le projet Tika papa ; début de la collaboration avec l’ethnobotaniste Gérard Ducerf.
2007 SEED Award des Nations unies & BBC World Challenge for Development pour la pomme de terre au Pérou.
2008 Retrait des OGM des 40 000 hectares de Pampa Grande, plus ancienne exploitation d’Argentine, convertie en bio.
2010-2014 Missions d’études d’ingrédients naturels pour l’Oréal.
2013 Publication du Manifeste gourmand des herbes folles, Grand Prix de l’Académie nationale de cuisine. 2015 Médaille d’or agricole de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Mission pour la biodiversité et l’agriculture au Congo.
2016 Publication de La fleur au fusil chez Gallimard.
Un jardin de guerre
Le siège de Sarajevo, le plus long siège de l’histoire de la guerre moderne, a duré de 1992 à 1996. Selon une enquête publiée en 2010 dans la revue Collegium Antropologicum, les habitants doivent leur survie à 91 plantes sauvages. Ils ont ramassé et consommé du tussilage, de la grande berce, de l’ortie, de la sarriette ou encore de la pariétaire. Ces espèces leur ont fourni des nutriments et des vitamines qu’ils ne trouvaient pas dans les rations alimentaires. Certaines plantes leur ont également fourni des remèdes et même un soutien psychologique avec par exemple le millepertuis. Elles ont constitué un « jardin de guerre », pour reprendre l’expression de George Oxley : elles poussent en effet sur les terres ravagées par les obus.