Artemisia contre le paludisme : «Privilégier l’usage de la plante entière»
Alors que le prix Nobel de médecine vient d’être attribué à la chinoise Youyou Tu pour ses recherches sur le rôle antipaludique de l’artémisine, une molécule de l’armoise commune (Artemisia annua), nous sommes allés à la rencontre d’acteurs de terrain utilisant la plante avec succès contre ce fléau. Quitte à s’émanciper des recommandations de l’OMS.
Plantes & Santé Comment avez-vous accueilli la nouvelle de ce prix Nobel ?
Dr Michel Onimus Youyou, Tu a le mérite d’avoir attiré l’attention sur l’artémisine. Mais quarante ans après ses recherches, avec le recul lié à la pratique clinique et aux données épidémiologiques disponibles, il n’est pas certain que cette molécule soit la plus pertinente, en tout cas prise isolément, dans la lutte contre le paludisme. Quant à nous, nous avons privilégié l’usage de la plante entière, pour des raisons à la fois d’efficacité et de coût.
P&S Vous connaissiez depuis longtemps les vertus de l’armoise annuelle (Artemisia annua) ?
Dr M.O. Non. Par un concours de circonstances, j’ai découvert une association, Artemisia contre le paludisme, qui la cultivait près de chez moi, en Franche-Comté (lire l’encadré) et promouvait son utilisation dans les pays du Sud. Or depuis 1983, nous partons plusieurs fois par an en mission en République centrafricaine avec l’ONG Les Amis comtois des missions centrafricaines (ACMC) pour opérer des enfants en situation de handicap. Nous sommes régulièrement confrontés à des poussées de fièvre postopératoire, le plus souvent dues à des accès palustres, à l’effet du choc opératoire sur des systèmes immunitaires fragilisés par une malaria chronique. Une écrasante majorité de la population locale a en effet dans le sang le parasite Plasmodium falciparum. Nous avons longtemps traité ces poussées de fièvre par des sels de quinine, mais après avoir étudié l’effet inhibiteur évident de l’armoise sur le cycle parasitaire, y avoir recours nous a semblé beaucoup plus logique.
P&S Comment cela s’est-il déroulé et quels ont été les résultats ?
Dr M. O. Nous avons mené une étude préliminaire sur 25 cas et publié les résultats, qui se sont avérés très encourageants. À la suite du traitement, parfaitement toléré, la parasitémie moyenne (nombre de Plasmodium par millilitre de sang) a diminué de plus de 60 % et il n’y a eu aucune fièvre postopératoire. Nous continuons donc à traiter préventivement de cette manière tous les enfants opérés.
P & S Pourquoi avoir choisi d’utiliser des gélules ?
Dr M. O. Les gélules de poudre (feuilles et tigelles) sont plus faciles à administrer aux enfants. Ce qu’on reproche – l’OMS notamment – à la tisane, c’est la perte d’une partie des principes actifs de la plante qui ne sont pas solubles dans l’eau. Avec la plante séchée, on n’a pas ce problème. Mais des effets préventifs et curatifs ont également été prouvés pour la tisane. D’ailleurs, quand nous sommes en Centrafrique, mon épouse et moi-même en buvons tous les soirs, comme le préconise la médecine traditionnelle chinoise depuis des siècles.
P & S Vous utilisez l’Artemisia annua sur des temps courts : peut-on imaginer une utilisation sur plus long terme, en préventif ou en curatif?
Dr M. O. On ne cherche pas à supprimer la présence de parasites dans le sang, mais à la faire diminuer pour éviter les complications postopératoires. Étant donné la prévalence du paludisme localement, c’est illusoire de penser qu’on va l’éradiquer grâce à l’Artemisia annua, pas plus qu’avec les médicaments allopathiques. Mais comme cela a été prouvé dans des études faites au Kenya et en Ouganda, utilisée à long terme, la plante est un bon outil de prévention chez l’enfant. Nous avons également reçu plusieurs témoignages de personnes soignées avec succès de leur crise de paludisme par la tisane ou des gélules, montrant qu’elle fonctionne aussi en curatif.
P & S Comment expliquer dès lors que l’OMS déconseille l’utilisation de la plante entière et insiste sur l’utilisation de son principe actif, l’artémisine ?
Dr M. O. Concernant la plante entière, ils avancent, à raison, qu’«on ne sait pas ce qu’on donne»: il y a du vrai, dans le sens où en utilisant le totum d’une plante, on ne maîtrise pas avec précision la concentration en principes actifs, qui dépend du lieu de culture, du moment de la récolte, des techniques de séchage, de la galénique... Mais même en tenant compte de cela, on se rend compte que, bon an mal an, la plante entière fonctionne. Et surtout, avec l’équivalent d’une dose d’artémisine de l’ordre de 0,5 mg par jour, soit des doses plusieurs centaines de fois moins fortes que ce que recommande l’OMS pourl’artémisinecontenuedansl’ACT,lathérapie qu’elle préconise. Ce qui est désormais démontré dans plusieurs recherches, c’est qu’une multiplicité de principes actifs fonctionnant en synergie, principalement des flavonoïdes, concourt à l’effet antiparasitaire. Ce qu’on sait également, c’est qu’une autre variété d’armoise, Artemisia afra, est aussi efficace contre le Plasmodium falciparum, alors qu’elle ne contient pas d’artémisine. C’est donc que l’efficacité d’Artemisia annua ne tient pas, ou en tout cas pas seulement, à l’artémisine.
P & S Dans ce cas, comment expliquer que l’industrie pharmaceutique ne se soit emparée que d’une des molécules actives de l’Artemisia ?
Dr M. O. La médecine officielle ne veut entendre parler que de molécules, seules ou combinées. Pas de plantes entières, et encore moins de tisanes. La conséquence de cette fixation sur les molécules isolées est qu’on a rapidement vu apparaître des phénomènes de résistance aux monothérapies par artémisine et que l’OMS a, dès 2002, recommandé de l’associer systématiquement à d’autres molécules de synthèse. Pourtant, dans un contexte local où ces ACT sont dix fois plus chères que la quinine et donc peu accessibles aux familles les plus pauvres, parfois en pénurie, voire pas disponibles du tout, il faut bien s’adapter au contexte. Et une des réponses, facile à utiliser et à faible coût, c’est la plante entière. Nous agissons ainsi depuis 2010 et ça marche très bien. D’ailleurs, le ministre de la Santé centrafricain a approuvé notre initiative.
P & S Il y a des chances selon vous pour que cette pratique s’enracine localement ?
Dr M. O. Les gens acceptent volontiers d’en prendre, même s’il faut parfois lutter contre une tradition qui veut qu’on traite un enfant qui présente un accès palustre par une injection de quinine, avec le côté magique associé à la piqûre. En Afrique, des cultivateurs ont commencé la culture sur place, une fois qu’on leur a laissé des graines. Il faut vraiment promouvoir cette culture car c’est un outil très utile, en particulier dans les zones à faible accès aux soins.
Docteur Michel Onimus
Chirurgien orthopédiste, professeur honoraire à la faculté de médecine de Besançon, Michel Onimus est également membre d’Artemisia contre le paludisme. Il effectue depuis 1983 des missions humanitaires avec l’ONG Les Amis comtois des missions centrafricaines (ACMC).
Armoise annuelle et paludisme : 40 ans d’hésitation
1972 Isolement et extraction de l’artemisine de l’armoise annuelle(Artemisiaannua) par l’équipe de Youyou Tu.
2001 L’OMS déclare l’artémisinine «le plus grand espoir mondial contre le paludisme ».
2002 L’OMS recommande l’introduction des polythérapies ACT(dérivés d’artemisine combinés à d’autres molécules)dans les pays touchés par la résistance aux antipaludiques classiques.
2006 L’OMS recommande de ne plus utiliser l’artémisineen monothérapie.
2000-2013 Baisse de 47% de la mortalité liée au paludisme dans le monde sur la période.
2015 Prix Nobel attribué à Youyou Tu pour ses recherches sur l’artémisine.
« Nous produisons des graines d’Artemisia pour les pays du Sud »
Jean-Michel Vouillot, enseignant en économie, est président de l’association Artemisia contre le paludisme, (www.acp-paludisme.org), créée il y a quatorze ans dans le Doubs. Il nous explique sa démarche.
« Encourager la culture d’Artemisia annua là où se trouvent les besoins, en produisant des graines destinées aux pays du Sud : voilà l’objectif qu’ACP s’est fixé dès le début. Le travail du Dr Onimus nous a permis de proposer un guide pour la culture et l’utilisation de la plante. Moyennant une cotisation de dix euros, nos adhérents (environ 200 par an) reçoivent un sachet de graines ou une petite quantité de poudre ou de gélules. On est sur une petite production artisanale, (15 kg de graines par an) mais avec 10 000 graines au gramme, un sachet de 8 grammes permet tout de même de semer un hectare. C’est un moyen peu coûteux d’encourager la culture en Afrique, même si elle reste plus difficile que sous nos latitudes car la plante y fleurit trop vite. Notre récolte, qui a eu lieu début novembre, se fait assez facilement, car les personnes du village viennent spontanément nous donner un coup de main. Cette aventure est beaucoup une affaire de générosité et de solidarité. »