Guillaume Fried : «Agir en amont contre les plantes envahissantes est plus efficace»
La Commission européenne a publié cet été une liste de 14 plantes invasives à combattre. Guillaume Fried, agronome à l’Anses et auteur du livre « Les espèces envahissantes d’ici et d’ailleurs », nous éclaire sur les mesures écologiques à prendre pour lutter contre ces plantae non grata.
Plantes & Santé La Commission européenne a publié le 13 juillet une liste d’espèces exotiques envahissantes à combattre. En êtes-vous satisfait ?
Guillaume Fried Globalement, la liste et les actions vont dans le bon sens. La lutte est axée sur la prévention pour empêcher de nouvelles invasions d’espèces qui ne sont pas encore présentes sur le territoire européen (programmes de détection précoce dans les ports et les aéroports, surveillance des jardineries…). Car agir en amont est plus efficace : quand les plantes ont déjà envahi un milieu, elles entraînent des dépenses très élevées et l’environnement est encore plus perturbé par des campagnes d’arrachage mécanique ou d’épandage chimique. Par ailleurs, cette règlementation insiste sur la nécessité d’arriver à une restauration du milieu à terme. Et si la liste est assez restreinte, c’est qu’elle ne peut inclure que des espèces pour lesquelles on dispose d’un dossier d’analyse des risques complet : il faut pouvoir se justifier face aux pays exportateurs de plantes, qui invoqueraient les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) si on leur refusait de les commercialiser en Europe.
P & S On trouve 14 espèces végétales dans la liste (baccharis à feuilles d’arroche, berce de Perse, fauxarum, kudzu…), mais l’on est étonné de ne pas voir figurer l’ambroisie, une des plantes invasives les plus problématiques en France et en Europe à cause de son pollen allergisant…
G. F. Cette liste émane de la direction Environnement de la Commission européenne. Elle se focalise donc sur les espèces qui ont un impact sur la biodiversité et les services écosystémiques rendus par celle-ci (protection des sols, qualité de l’eau…). L’ambroisie n’entraînant pas de nuisance environnementale, elle ne fait pas partie de la liste. Elle n’impacte « que » la santé ainsi que l’agriculture, car elle envahit certains champs.
P & S Faut-il diaboliser, comme c’est souvent le cas, toutes les espèces qui ont tendance à proliférer rapidement ?
G. F. La notion de nuisance est liée à la perception de chacun. Par exemple, la jacinthe d’eau, qui couvre des lacs entiers sous les tropiques, est à certains endroits utilisée pour fabriquer des objets [papier, tissu, meubles, ndlr]. Au lieu de vouloir la faire disparaître, les populations locales vont donc entretenir son développement. Quant au robinier faux-acacia, il pose problème quand il envahit les pelouses sèches et perturbe les communautés végétales indigènes. Il est pourtant cultivé pour son bois imputrescible et apprécié des apiculteurs. C’est pourquoi nous avons préféré rester neutres dans la définition que nous donnons dans le livre « Les espèces envahissantes d’ici et d’ailleurs ». Pour être précis, il vaut mieux parler de « population envahissante », car seule une partie de l’espèce est « nuisible », dans un territoire donné et lorsque se rencontrent des conditions particulières.
P & S Vous distinguez deux types d’invasives : les opportunistes et les dominantes. Quelles sont les plus problématiques ?
G. F. En écrivant le livre, nous voulions nous positionner dans le débat qui questionne les espèces envahissantes, à savoir si elles sont la cause ou la conséquence des nuisances environnementales auxquelles elles sont associées. C’est ainsi que nous avons distingué ces deux types. D’une part, les espèces opportunistes, qui sont une conséquence de perturbations préalables. C’est l’exemple des algues vertes en Bretagne, qui régresseront si l’agriculture locale passe à des pratiques écologiques. D’autre part, les espèces dominantes, qui s’accompagnent souvent de modifications notables des écosystèmes qu’elles envahissent, et qui persistent plus longtemps. C’est le cas du robinier faux-acacia, légumineuse qui enrichit le sol en azote, favorisant les orties et les ronces, d’où une réduction de la biodiversité.
P & S Est-ce à dire qu’il faut concentrer les efforts de lutte sur les espèces dominantes ?
G. F. Pas forcément, puisque l’ambroisie est classée dans les espèces opportunistes. On a affaire à une plante certes annuelle, mais elle a une longue durée de vie, car elle dispose d’une véritable banque de graines dans le sol. Nous travaillons actuellement sur la lutte biologique par le biais d’un insecte que l’on trouve en Italie, où il aurait été introduit accidentellement. Originaire des États-Unis comme l’ambroisie, ce petit coléoptère de la famille des chrysomèles a déjà entraîné une baisse des émissions de pollen dans la région italienne où il a été observé. L’Anses est en train de réaliser une évaluation de cet insecte, qui va arriver spontanément en France. Il ne faudrait pas qu’à l’instar de la coccinelle asiatique, introduite en France pour lutter contre les pucerons, il devienne lui aussi envahissant…
P & S Vous tracez dans votre livre les grandes lignes d’une politique écologique comme rempart au développement d’espèces invasives. Peut-on espérer que nos dirigeants envisagent de véritables actions ?
G. F. C’est assez naïf de le penser. Seules les espèces qui nous impactent le plus, comme l’ambroisie, feront peut-être un peu évoluer les choses. Mais pour celles qui n’ont d’impact que sur la biodiversité, je n’y crois pas, au regard des faibles mesures prises contre le réchauffement climatique par exemple, qui au passage, va lui aussi augmenter le nombre d’espèces invasives. Les plantes envahissantes sont en tous cas des indicatrices de nos activités humaines et des dérèglements qu’elles provoquent. Il faudrait repenser la gestion de nos ressources végétales en considérant l’écosystème dans son ensemble plutôt qu’en recherchant la productivité maximale d’un très petit nombre d’espèces.
P & S Les trois quarts des espèces invasives sont des plantes d’ornement, comme la jussie à grandes fleurs. L’homme porte-t-il la responsabilité des problèmes liés aux plantes envahissantes ?
G. F. Oui, car c’est lui qui prend la décision de les introduire et c’est aussi lui qui a perturbé l’environnement favorisant leur prolifération. On peut d’ailleurs considérer l’être humain comme une espèce envahissante. Il en a en effet toutes les caractéristiques!
Parcours
1981 Naissance à Colmar (Haut-Rhin).
2004 Diplôme d’ingénieur des techniques agricoles AgroSup Dijon.
2007 Doctorat en écologie sur la réponse de la flore des champs cultivés à l’évolution des pratiques agricoles (Inra de Dijon).
2008 Intègre le Laboratoire national de la protection des végétaux (LNPV) de l’Anses, à Montpellier. 2010 Chargé de projet de recherche sur les plantes envahissantes et l’écologie des invasions au Laboratoire de la santé des végétaux de l’Anses, à Montpellier.
2011 Personne-ressource pour le suivi des Effets non intentionnels (ENI) des pratiques agricoles sur la flore des bords de champs (programme financé par le plan Ecophyto).
2012 Membre du comité d’experts de l’OEPP (Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes) pour la réalisation d’analyses du risque sur les plantes exotiques envahissantes.
2012 Publication du « Guide des plantes invasives » (Belin).
2013 Intègre le conseil de la Société botanique de France.
2016 Publication des Espèces envahissantes d’ici et d’ailleurs (Gerfaut).
L’ambroisie propagée par le changement climatique
L’ambroisie à feuilles d’armoise provoque de graves allergies respiratoires à la fin de l’été, touchant environ 10 % de la population. Elle est devenue très envahissante dans la région Rhône-Alpes depuis une dizaine d’années. Son introduction en Europe date pourtant du XIXe siècle avec l’importation de semences agricoles (trèfle rouge, maïs et tournesol) en provenance du Canada et des États-Unis. Aujourd’hui, on peut craindre que les changements climatiques aggravent le problème. Des chercheurs qui viennent de publier leurs travaux dans la revue Environmental Health Perspectives estiment en effet que les pollens d’ambroisie pourraient s’étendre à d’autres pays comme l’Allemagne ou la Pologne. Cela pourrait doubler le nombre d’Européens souffrant d’allergies aux pollens d’ambroisie d’ici à 2050 et le porter à 77 millions, contre 33 millions aujourd’hui. Selon les chercheurs, les deux tiers de l’augmentation peuvent être attribués au changement climatique, tandis que le tiers restant s’explique par la propagation naturelle de la plante.