Les plantes invasives, dangereuses ?
Tremblez, amis de la nature, le péril vert vous guette ! Des hordes de végétaux exotiques ont franchi nos frontières et viennent jusque dans nos bras égorger nos gentilles plantes indigènes. On les nomme «plantes invasives».
Il est devenu très à la mode de s’insurger contre la modification de notre flore par des plantes venues d’ailleurs : les associations fleurissent, les municipalités s’en mêlent et la manne tombe pour mener des actions musclées visant à éradiquer les indésirables. Encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’est une plante invasive. Ce serait une « espèce vivante exotique qui devient un agent de perturbation nuisible à la biodiversité autochtone des écosystèmes naturels ou semi-naturels parmi lesquels elle s’est établie ».
La définition est toutefois ambiguë, car les termes de « perturbation nuisible », de « biodiversité autochtone » et d’« écosystèmes naturels ou semi-naturels » le sont également. On peut assez facilement concevoir ce qu’est une plante invasive dans un milieu où la végétation n’a jamais été modifiée, car les impacts sont simples à évaluer. En Amérique du Nord, par exemple, on distingue aisément des lieux couverts de végétation native et d’autres où les espèces originaires du vieux continent ont été introduites. Mais dans nos régions où l’environnement naturel a été totalement bouleversé par l’action de l’homme, il est très difficile de savoir si une espèce est véritablement indigène ou si elle a été introduite d’Asie occidentale avec la culture ou l’élevage, suite aux défrichements massifs qui ont eu lieu depuis le Néolithique.
En fait, la présence des plantes invasives est liée à la modification du milieu. Or cette modification est causée par l’homme depuis quelque dix mille ans. Ce ne sont donc pas les plantes qu’il faut accuser, mais nous-mêmes. Et logiquement, pour résoudre le problème, ce sont les milieux qu’il faudrait modifier, afin de les rendre plus naturels. Pour cela, il suffit de laisser faire la nature qui prendra soin de l’opération. Elle le fait constamment d’ailleurs, par le biais des mauvaises herbes – adventices, en langage politiquement correct –, des friches et de la fermeture des milieux (sans intervention humaine, un espace naturel se boise).
Or cette dernière méthode fait horreur aux « protecteurs de la nature » qui s’émeuvent de voir disparaître leurs chères orchidées et ces milieux anthropisés inscrits à notre patrimoine... Nous nous trouvons là en pleine contradiction, au nom de la biodiversité. Certes, le nombre d’espèces diminue un certain temps quand les milieux ouverts disparaissent, mais une forêt arrivée au terme de son développement est en fait riche d’environnements divers comportant un nombre remarquable d’espèces. Encore faut-il accepter de lui en laisser le temps...
Cette nouvelle croisade contre les plantes invasives est finalement un bon prétexte pour se battre une fois de plus contre la nature et l’empêcher de s’exprimer, tout en se donnant la bonne conscience de la protéger. On peut, c’est légitime, ne pas avoir envie de se laisser envahir par des plantes qui poussent toutes seules, mais encore faut-il avoir l’honnêteté de ne pas chercher de prétextes.