Dossier
Hygiène, aller à l'essentiel (1/4)
L'éclosion récente de mouvements « sans savon » nous interroge. De la découverte des principes d'hygiène à la fin du XIXe siècle jusqu'à l'exubérance contemporaine, existe-t-il un juste milieu ? Nous avons également enquêté sur la toxicité de certains produits afin de vous fournir des conseils pratiques ainsi que des recettes à réaliser vous-même pour revenir à des ingrédients bruts, sains et tout aussi efficaces.
No poo, slow cosmétique : une réaction aux excès contemporains ?
Il y a plus d’un siècle, nous découvrions l’existence de micro-organismes (germes, bactéries, virus) et leurs capacités à se transmettre par les mains et les surfaces, favorisant ainsi les maladies. Progressivement, des mesures d’hygiène comme les douches à l’eau et au savon, ou le lavage des mains sont venues remplacer les toilettes sèches (au tissu ou avec des poudres parfumées) ou le lavage seulement à l’eau qui se pratiquaient jusqu’alors. Puis dans les années 1960 les produits d’hygiène industriels issus de la chimie ou de la pétrochimie deviennent la norme et avec eux, de nombreux composants agressifs voire cancérigènes pour notre organisme.
Depuis le début des années 2000, de nouveaux mouvements éclosent en réaction pour prôner un retour à des produits plus naturels, bio, et même pas de produit du tout. Les « no soap » (sans savon) bannissent l’usage de produits lavants et se contentent d’eau, les « no poo » (sans shampoing) font de même avec leurs cheveux, et les « low poo » n’emploient que des produits naturels non agressifs. Parmi leurs défenseurs se trouvent des professionnels de santé reconnus. Comme le jeune médecin étasunien James Hamblin, spécialiste en médecine préventive, professeur à l’université de Yale et figure de proue du mouvement « sans savon ».
Moins radical et davantage grand public, le mouvement « slow cosmétique » propose de faire la part belle aux ingrédients naturels comme les huiles végétales, ou des végétaux peu transformés, beaucoup plus sains pour le corps et la planète. Julien Kaibeck, aromatologue qui a fondé en 2012 ce mouvement, dénonce un « double lavage de cerveau » : « D’un côté, on nous fait croire que les produits cosmétiques ne contiennent que des ingrédients bienfaisants pour notre peau, sans jamais parler des dangers possibles. D’un autre côté, le marketing nous conditionne à une quête un peu folle du produit miracle, en créant une frénésie de l’innovation, du pseudo-scientifique et de la consommation. »
Ces nouvelles approches de l’hygiène se rejoignent, en tout cas, pour dénoncer une surenchère qui serait plus dommageable qu’utile à notre santé. Ainsi, dans son ouvrage Clean : the new science of skin, James Hamblin illustre comment la plupart des produits d’hygiène actuels perturbent le microbiome de la peau favorisant paradoxalement les mauvaises odeurs et, plus grave, les allergies. Véritable...
frontière protectrice de l’ensemble du corps, notre peau accueille à sa surface des milliards de bactéries qui lui permettent d’affronter les agressions extérieures sereinement. Comme l’explique Elizabeth Grice, chercheuse américaine spécialiste du sujet : « Le rôle principal de la peau est de servir de barrière physique, protégeant notre corps contre les agressions potentielles d’organismes étrangers ou de substances toxiques ».
Or, ces microbiomes cutanés (dont les muqueuses font partie) ne s’enrichissent pas comme ils le devraient dans un environnement trop aseptisé où tout est trop fréquemment « lavé ». Pour de nombreux chercheurs, cela expliquerait l’explosion de bon nombre de pathologies qu’elles soient cutanées comme les dermatites ou autres comme l’asthme, les inflammations intestinales, les allergies, etc. Ainsi, les chercheurs de l’école de médecine de San Diego ont démontré que la fréquence des lavages des mains pouvait être contre-productive. En étudiant les bactéries de la famille des staphylocoques, très présentes au niveau de la peau, et dont on connaît les dangers si elles pénètrent trop profondément dans notre organisme, ils ont mis en évidence que ces mêmes bactéries remplissaient pourtant un rôle positif au niveau de l’épiderme, en prévenant ou modulant certaines réactions inflammatoires. Nous savons aujourd’hui que les enfants élevés à la campagne, où les allergènes sont plus nombreux, ont 75 % de risques en moins de devenir allergiques, et moitié moins de développer de l’asthme par rapport aux enfants élevés en ville dans un milieu plus aseptisé. Même constat chez les enfants ayant de nombreux frères et sœurs, ou fréquentant régulièrement des lieux comme les crèches et donc plus exposés aux virus et bactéries.
Pour protéger au maximum le microbiome de notre peau, il faudrait donc éviter de savonner trop fréquemment nos mains, notre visage mais aussi notre cuir chevelu avec des produits agressifs qui éliminent les huiles et bactéries naturelles qu’ils contiennent. Pour ce faire, c’est l’ensemble de nos habitudes et des produits que nous utilisons qu’il faut repenser. Dans cet état d’esprit, nous vous proposons des conseils concrets pour savoir où mettre le curseur entre le trop et le pas assez. Sans perdre de vue l’utilisation d’ingrédients bruts, sains et tout aussi efficaces.
Repérez les substances allergisantes
L’Union européenne a établi une liste de 26 allergènes dans les cosmétiques dont certains sont présents dans les huiles essentielles comme le limonène, l’eugénol ou le linalol. Ces substances seraient en réalité peu ou pas allergènes dans une huile essentielle complète. Une étude menée en 2010 par le BDIH (un label de cosmétiques bio) sur le géraniol a montré que c’est uniquement la molécule isolée qui causait des allergies chez 20 % des participants, là où l’huile essentielle complète n’en générait pas. Qui plus est, seuls 0,1 à 3 % des consommateurs ont des réactions à ces molécules naturelles, et généralement à des concentrations plus élevées que dans les cosmétiques, ou lorsqu’elles sont oxydées car de mauvaise qualité. En revanche, il faut éviter certaines molécules de synthèse si vous vous savez allergique : le méthylisothiazolinone (un conservateur), le lyral, le cinnamyl alcohol ou l’hydroxycitronellal.
Recette dentifrice simplissime
Bien souvent, hélas, certains dentifrices conventionnels contiennent des substances polémiques comme le dioxyde de titane soupçonné d’être cancérigène, ou encore le triclosan et le fluorure suspectés d’être perturbateurs endocriniens. Préférez les dentifrices solides, en poudre ou en pâte bio et encore mieux, dotés de la mention « slow cosmétique », ou bien optez pour cette recette.
Matériel :
- Un pot hermétique de 30 g
Ingrédients :
- 1 cuillère à soupe d’argile blanche
- 1 cuillère à soupe de carbonate de calcium (poudre blanche très fine trouvable en magasins bio ou spécialisés)
- 1 goutte d’essence de citron
Méthode :
- Mélanger les ingrédients
- Déposer un peu de poudre sur votre brosse à dents humidifiée
À noter : L’argile étant légèrement abrasive pour l’émail des dents, il est conseillé d’alterner avec une autre recette, sans argile. Par exemple, en déposant de l’huile de coco aux propriétés antibactériennes sur votre brosse à dents et en y ajoutant une goutte d’essence de citron.
Produits multi-usage : du « tout-en-un »
Pour éviter que votre salle de bains soit envahie par toutes sortes de produits d’hygiène, voici les idées de Julien Kaibeck pour donner à un même ingrédient plusieurs utilisations, en fonction de vos besoins.
- Le gel d’aloe vera sert aussi bien de masque hydratant, de cataplasme cicatrisant et de soin démêlant pour les cheveux.
- Un savon à froid enrichi en rhassoul permet de laver corps, visage et cheveux.
- Une huile vierge de noyaux d’abricot sert de démaquillant, de sérum hydratant bonne mine et d’huile de massage raffermissante.
- L’eau florale d’hamamélis s’utilise comme lotion tonique après démaquillage, mais aussi comme déodorant si l’on transpire peu.
- Un contour des yeux convient aussi pour les lèvres, une crème visage peut s’utiliser pour les mains et la plupart des soins cosmétiques « pour hommes » conviennent aux femmes, et vice versa.