Des huiles essentielles au défi des soins intensifs
Médecin en soins intensifs de l'hôpital Le Corbusier à Firminy, Blandine Papi s'est lancé le défi d'introduire les huiles essentielles au sein d'un service où les patients sont atteints de maladies graves. Son projet aromatique, récompensé par le prix Gattefossé 2024, témoigne d'un engagement exemplaire pour améliorer la qualité de vie et le confort des patients et soignants dans un contexte médical exigeant.
En 2018, ayant découvert les huiles essentielles (HE) grâce à une amie en formation à l’École des plantes de Paris, Blandine Papi, médecin aux soins intensifs de l’hôpital Le Corbusier à Firminy (Loire), a une révélation. « Je me suis dit waouh ! Les huiles essentielles pourraient servir aux patients des soins intensifs. Il faudrait des protocoles sécuritaires adaptés aux maladies graves. » Hélas, à ce stade, les pharmaciens ne souhaitent pas rejoindre l’initiative. « Dommage, car l’équipe soignante était partante », regrette-t-elle.
Les mutuelles sollicitées
Qu’à cela ne tienne, elle contourne la pharmacie en présentant son projet aromatique à la directrice de la gestion des achats, qui donne son accord pour la commande d’HE (considérées comme des compléments alimentaires et non des médicaments, ndlr). En parallèle, elle sollicite des mutuelles qui permettent l’achat de matériel (sticks, diffuseurs, chariot hospitalier).
Durant deux ans, Blandine Papi se forme à la phytothérapie et à l’aromathérapie clinique. « Je voulais être en mesure de prescrire des protocoles en toute sécurité pour les patients. » Si bien qu’en 2020, elle présente une quinzaine de protocoles à son équipe (infirmiers, aides-soignants, kinés, médecins, etc.). Au cours d’initiations et de formations institutionnelles en interne autorisées par sa cadre supérieure, la médecin leur apprend les usages, les précautions d’emploi et la réalisation de synergies. « Les pharmaciens n’étant pas en charge des préparations, les soignants doivent savoir les faire », concède-t-elle. Blandine Papi sensibilise ses équipes au fait qu’elles n’ont pas le droit à l’erreur. Elle opte pour des protocoles simples, avec des huiles essentielles sans trop de contre-indications, tels la lavande, l’ylang-ylang, la marjolaine à coquilles, le citron, la mandarine verte, la camomille romaine, l’eucalyptus radié… « Les kinés réclamaient l’HE de gaulthérie (relaxante musculaire, antihématomes, réparatrice, ndlr), mais j’ai refusé du fait de ses contre-indications », pointe-t-elle.
Protocole antimycoses, le plus populaire
Massage cutané pour troubles digestifs, sticks inhalateurs antinausées, diffusion pour patients en fin de vie, soins de bouche, de petits saignements, d’hématomes… Depuis quatre ans, les patients bénéficient des protocoles dans le service, pratiqués par les kinés, infirmières référentes, médecins… « Ce qui marche le mieux, c’est le protocole en cas de mycoses (courantes au niveau de l’aine et des aisselles en cas de prise d’antibiotiques, d’alitement, de fièvre qui provoque de la sueur). À base d’HE de tea tree, géranium rosat, palmarosa, laurier noble et d’HV de jojoba, l’effet antidouleur et cicatrisant est rapide. », se félicite Blandine Papi (lire encadré ci-contre). Chaque patient dispose de flacons étiquetés uniques afin de respecter les contraintes d’hygiène strictes du service. Les huiles essentielles sont bio et fournies par une distillerie locale. Depuis que le projet est pérennisé, l’hôpital finance l’ensemble du matériel.
Avoir recours aux huiles essentielles présente aussi l’avantage d’être plus écologique, selon la médecin, car un stick inhalateur aromatique respirable pendant trois semaines contre les vomissements ou l’anxiété peut facilement remplacer de nombreux matériaux (tubes, aiguilles, flacons) nécessaires à des perfusions d’anxiolytiques et d’antiémétiques par exemple. « On peut réutiliser les contenants en verre des synergies, contrairement aux éléments de perfusion qui doivent être jetés », illustre la praticienne.
Si bien que de nouveaux services de l’hôpital (soins palliatifs, chirurgie ambulatoire) ont intégré l’aromathérapie, et les soignants de nombreux autres services sont demandeurs.
Un projet certes énergivore au départ, mais qui porte ses fruits, couronné en prime par le prix Gattefossé, décerné à l’équipe en 2024. « Cette récompense valorise notre établissement. La somme perçue va servir à faire progresser l’aromathérapie à l’hôpital, notamment en menant des études cliniques permettant d’apporter des preuves de l’efficacité des huiles essentielles », se réjouit la médecin. De plus, l’unité pharmaceutique devrait rejoindre le projet. Souhaitons que se poursuive cet élan courageux, fédérateur et transformateur des pratiques hospitalières.
Des bienfaits étudiés et prouvés
Blandine Papi a mis en place des fiches de suivi afin d’évaluer l’efficacité des protocoles. Voici les évaluations sur 34 mois.
- 95 % des patients souffrant de mycoses ont constaté une amélioration visuelle significative avec diminution de la douleur, et 30 % d’entre eux ont guéri au cours de leur séjour (d’une durée moyenne de sept jours).
- 83 % des cas de nausées ont été soulagés par des sticks inhalateurs, sans recours à des médicaments.
Quant aux soignants, ils semblent tout aussi conquis : « C’est un moment de communication avec les patients, on parle de leurs préférences d’odeurs, de leurs sensations. Cela crée du lien, c’est fédérateur dans l’équipe, ça humanise le soin et ça ne prend pas plus de temps qu’une perfusion (antibiotiques, antiémétiques ou anxiolytiques, ndlr). Parfois, comme les patients guérissent plus vite, on en gagne ! »
Franc succès
Voici la formule antimycoses cutanées utilisée dans le service des soins intensifs.
Synergie : • 6 gouttes d’HE de géranium • 9 gouttes d’HE de palmarosa • 4 gouttes d’HE de tea tree • 3 gouttes d’HE de laurier noble • À compléter, dans un flacon de 30 ml, par de l’huile végétale de jojoba.
Utilisation : Application à l’aide de gants par les infirmières trois fois par jour pendant cinq jours. L’effet antidouleur est rapide. « La mycose disparaît parfois en sept jours, alors que cela peut prendre trois semaines avec l’allopathie. Les patients veulent même la synergie pour la maison », témoigne la médecin.