Le bambou, plie en riant
La souplesse du bambou évoque le dos courbé de ceux qui endurent une surcharge, ou encore, selon un proverbe chinois, de ceux qui feignent de se soumettre en attendant leur moment.
Mais un bambou, c’est tous les bambous à la fois ! Où est l’individu dans une bambouseraie qui envahit tout l’espace qu’elle trouve vacant avec des rejets du même pied ? Il faut contenir fortement les racines des bambous pour les maintenir dans un espace donné : la puissance de cette croissance/clonage est telle qu’elles percent leurs contentions et poussent en une journée d’une façon quasi visible à l’oeil nu.
L’économie chinoise repose en partie sur cette exubérance végétale. Depuis la vaisselle jusqu’aux échafaudages, le bambou omniprésent soutient cette grande puissance économique, cette bombe démographique.
Tout comme les racines des bambous sont difficilement contenues, la fécondité du peuple chinois est soumise à un contrôle drastique afin de permettre à cette grande nation de consacrer son énergie à autre chose qu’à nourrir un nombre exponentiel de bouches supplémentaires. Une problématique du bambou est là : ne pas ployer sous le poids de sa progéniture pour enfin exister !
Il existe un phénomène inexpliqué qui veut que tous les bambous du monde d’une même espèce fleurissent en même temps, mais heureusement rarement, car cette floraison explosive épuise leurs réserves nutritives et met en péril toute l’espèce. La reproduction sexuée est ainsi dangereuse et passée au second plan, alors que la non sexuée est envahissante. Y songer donne le vertige quand on sépare ainsi la reproduction de la sexualité et qu’on y oppose la survie de l’espèce au détriment de la singularité de l’individu.
En utilisation homéopathique, le médicament Bambusa a deux pôles d’action, qui se rejoignent dans leur signification. D’une part il est indiqué dans les douleurs de la colonne rachidienne, en particulier le haut de cette colonne, le cou, la nuque jusqu’aux épaules comme l’on ploierait sous le joug d’une charge trop lourde ; d’autre part la fonction reproductive féminine est atteinte avec des troubles du cycle perturbant la fécondité. Quand le poids de la descendance est si lourd à porter sur le dos, il vaut mieux en effet éviter d’en avoir une.
Combien de femmes de génie n’ont jamais pu l’exprimer sous le poids des tâches quotidiennes ? Tout comme la grande culture chinoise est bridée par sa surpopulation. Et combien de femmes épuisées portant à bout de bras vie de famille et vie professionnelle souffrent de ne plus pouvoir exprimer leur créativité ? Le bambou exprime avec ses particularités l’impasse de l’hyperproduction, faisant fi des individus et noyant dans sa masse l’expression personnelle et les singularités. Rirons-nous encore quand il se dépliera ?