La pâquerette, une résiliente ?
Quel plaisir sensuel, aux premiers beaux jours, que de retirer ses chaussures et d’enfouir ses pieds nus dans l’herbe fraîche et humide ! Comme une ornementation délicate, sur le tapis végétal, les corolles neigeuses des pâquerettes se laissent fouler puis se redressent, comme intactes. Mais pour qui les observe attentivement, elles ne sont pas indemnes… plutôt froissées, un peu ébréchées, disloquées.
Un homéopathe du XIXe siècle, J. H. Clarke, a dit de la pâquerette qu’elle se laissait écraser puis qu’elle se redressait en souriant. Mais l’usage homéopathique du remède qui en est issu, Bellis Perennis, en dit long sur ce sourire de façade. Bellis Perennis soigne les douleurs persistantes héritées de traumatismes anciens, les plaies qui ne se referment jamais vraiment, quand ce ne sont pas des cancers qui insidieusement vont se loger sur un organe autrefois meurtri.
On a fait de Bellis un remède de résilience, mais peut-on parler de résilience quand les douleurs anciennes continuent d’œuvrer sous la surface ? Le terme résilience a été forgé pour décrire la capacité de certains métaux à retrouver leur forme d’origine après un choc. On ne peut en parler quand on sait les traces profondes laissées sur la forme et sur le fond de Bellis perennis.
Les grandes douleurs sont muettes, mais ô combien destructrices. Que sait-on du cancer qui couve sous une plaie mal refermée ? Le silence joliment souriant d’une pâquerette éraflée devrait faire sonner à nos oreilles et notre cœur comme un appel à l’aide, une injonction de sollicitude vis-à-vis de ceux qui se consument à petit feu, sous nos yeux indifférents, de traumatismes jamais guéris, non considérés.
Un symptôme marquant dans les indications du remède Bellis Perennis est celui que je nommerais la « douche froide », plus précisément les éruptions, réactions, consécutives au refroidissement brutal d’une partie du corps préalablement surchauffée. Si l’on veut voir plus loin que les eczémas du plein été, ou encore les inflammations de l’estomac après un abus de crèmes glacées… ce sont les enthousiasmes douchés qui apparaissent. Tu as cru au bonheur ? Mais tu n’y as pas droit, voyons !
La pâquerette nous parle donc des oubliés de la prospérité, des sacrifiés de la modernité, des malchanceux, des victimes, des vaincus d’avance, de ceux qui ne se plaignent pas, des résignés. Nous devrions regarder où nous posons nos pieds, nos yeux, abandonner notre indifférence, nos certitudes, et, à l’instar du message murmuré par la pâquerette, accorder de l’attention, des soins, de la sollicitude, et réintroduire la douceur d’une fleur dans notre monde de métal.