Herboristerie : la peur du sauvage
Quel rapport y a-t-il entre une ruelle du souk de la casbah d’Alger, un laboratoire universitaire danois et une salle de réunion du ministère français de l’Agriculture ? La peur des plantes et du sauvage. Une phobie qui s’infiltre parfois dans les endroits les plus inattendus, défiant souvent le bon sens le plus élémentaire.
Il y a quelques semaines, 155 herboristeries traditionnelles (des « herboristes sauvages », selon la presse) de la vieille ville d’Alger sont brutalement fermées par ordre administratif sous prétexte de salubrité et de sécurité publique. On se demande sérieusement si une telle mesure n’est pas plutôt l’expression d’une peur irraisonnée et infondée que le reflet du danger que pourrait représenter cette profession.
Au Maroc voisin, où environ 80 % d’une population de quelque 30 millions d’habitants se soigne seulement avec les plantes à l’aide de très nombreux prétendus charlatans, le Centre marocain de pharmacovigilance n’a enregistré que 107 cas d’intoxication et 5 décès en 2005. Cela n’avait pas empêché cette institution de demander, sur un ton plutôt alarmiste, « la mise en place urgente d’une législation qui contrôlera ce secteur, jusqu’alors menaçant pour la santé de notre population ».
Ce sont à peu près les mêmes arguments qui ont été avancés pour légiférer et supprimer les herboristeries en France en 1941. Or aujourd’hui, la iatrogénie médicamenteuse serait officiellement responsable chaque année en France de plus d’un million de journées d’hospitalisation et de plusieurs milliers de décès annuels. Doit-on fermer d’urgence toutes les pharmacies de notre pays ?
Récemment, à la suite d’études pharmacologiques, le Danemark a demandé le classement du géraniol comme « substance sensible » auprès des autorités européennes. Des plantes médicinales comme la rose de Damas, le jasmin officinal ou l’ylang-ylang en contiennent des taux importants ; si l’UE suit cette proposition, leur usage risque alors d’être interdit. Ne faut-il pas voir dans cette demande des pharmacologues danois une regrettable expression des racines communes du puritanisme et de la peur ? Les trois plantes visées pourraient justement leur servir d’antidote, puisque leurs effluves parfumés sont presque universellement reconnus pour leurs propriétés relaxantes !
Au mois d’avril, à Paris, pendant une réunion interministérielle rassemblant les différentes composantes du secteur des plantes aromatiques et médicinales au ministère de l’Agriculture (mais où le ministère de la Santé a brillé par son absence : il était « excusé »), nous avons appris dans une communication que l’ANSM s’inquiétait du danger potentiel que pourraient représenter des plantes comme le millepertuis, la passiflore, la matricaire, l’alchémille, la mélisse, la menthe poivrée, la sauge, le pissenlit ou le thym, en raison d’une possible contamination des lots par des « mauvaises herbes » qui contiennent des alcaloïdes pyrrolizidiniques… le risque serait réel à partir de 10 pieds de séneçon par hectare de menthe dans des parcelles ou là récolte est mécanisée ! Ces mêmes plantes ne poussent-elles pas dans les cultures maraîchères, céréalières ? L’ANSM devrait prévenir de toute urgence l’ANSES pour sécuriser le muesli, le pain, les salades et la choucroute !
Pour conclure, réagissons, résistons, ne nous laissons pas emporter par ce vent de peur des plantes, de peur du sauvage qui semble souffler de la Scandinavie au Maghreb. Les dangers les plus prégnants ne sont pas là.