Quand la forêt brûle
Les feux de forêts sont des phénomènes que l’on connaît depuis toujours. Mais leur ampleur est désormais telle qu’ils semblent avoir changé de nature. Partout dans le monde se propagent ces « très grands feux de forêts appelés aussi VLF (very large fire), big fires, feux extrêmes […], mégafeux. Qu’il s’agisse de leur intensité, de leur vitesse de propagation, de leur étendue, de leurs conséquences écologiques et humaines ou de leur récurrence, ils sont sans commune mesure avec ce qui se produisait dans le passé. Il est par ailleurs strictement impossible de prévoir leur comportement et de les contrôler. […]
Le grand feu de forêt est abordé ici comme un révélateur, un indicateur, un avertisseur : révélateur, il l’est dans la mesure où, confrontée directement au passage du feu et à la vision de la forêt calcinée, beaucoup de croyances volent en éclats. En particulier celle selon laquelle il s’agirait d’un phénomène contrôlable grâce aux sciences et aux techniques modernes ; mais aussi, à l’inverse, celle selon laquelle le feu de forêt serait normal, « naturel », bénéfique à la biodiversité. Face à la violence et à la soudaineté de l’événement, les promesses de dénomination de la nature ou, à l’opposé, les propos naturalistes lénifiants, voire romantiques, perdent en crédibilité et pertinence. […]
Ce contraste auquel le mégafeu donne un relief saisissant pourrait aussi servir d’indicateur : il signale que nous nous trouvons dans une impasse. Il agit comme une sonnette d’alarme et rend absurde la structure dichotomique qui sous-tend notre relation à la nature, au sujet de laquelle nous nourrissons finalement deux grands idéaux : celui d’une nature si dominée qu’elle doit docilement obéir à nos besoins et à nos prévisions, ou celui d’une nature vierge destinée à être respectée et contemplée à distance. Car ni l’interventionnisme à tout crin ni l’évangile du préservationnisme, qui caractérise un courant important de l’écologie, ne semblent offrir les bonnes réponses face aux mégafeux, ne permettant ni de les contrer ni même de les penser.
Phénomène paroxystique, le très grand feu de forêt peut apparaître comme un « événement total » à la fois social et naturel, qui serait en partie de notre fait, et ce, en premier lieu, pour la simple raison que 85 à 98 % d’entre eux, selon les sources, sont provoqués par des êtres humains négligents, imprudents ou criminels. En cela il pourrait aussi jouer le rôle d’un puissant avertisseur. En effet, les mégafeux qui détruisent durablement de vastes portions de forêts et les essences qui s’y développent, parfois depuis des siècles, et qui parviennent à pénétrer de plus en plus loin dans les villes, voire à en effacer certaines de la surface de la Terre, engagent clairement la responsabilité humaine. Leur degré de gravité atteint celui des tsunamis, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre. Pourtant, alors que l’idée de maîtriser ces catastrophes ne viendrait à l’esprit de personne, le projet de dominer le feu perdure et, avec lui, l’intensification des conditions favorables à sa propagation future !