Des chiffres ou des idées
L'analyse chiffrée de notre monde est devenue une obsession. Les statistiques guident notre réflexion, nous poussant partout à nous conformer à cette formule voulant que « ce qui ne peut être mesuré ne peut être géré. » Et plus encore en début d'année, quand c'est le moment des bilans. Certes un éclairage précis est bien souvent précieux. Mais les données ont pris une telle importance que l'on peut aussi constater les effets pervers de cette profusion. J'aimerais ainsi revenir ici sur trois chiffres qui récemment ont fait le buzz.
Mon premier porte sur les produits phytosanitaires. Nous avons en effet appris que les pesticides et autres herbicides sont en nette augmentation : + 23 % en 2018, telle est la réalité des ventes. Après dix ans de plan écophyto visant à réduire de 50 % l'utilisation de ces produits, c'est tellement décevant… Conséquence, le gouvernement a préféré communiquer sur sa volonté de « renforcer la transparence des données sur la réduction des produits phytosanitaires ». Une mise au point de circonstance… Tout comme les explications de la hausse : les agriculteurs auraient fait des « stocks » en prévision de l'augmentation de la taxe sur les substances les plus préoccupantes depuis le 1er janvier 2019. Ainsi, au lieu de nous amener à nous interroger sur les difficultés du monde agricole à changer ses modes de culture, nous discutons de mesures techniques, qui ne font pas le moins du monde avancer le sujet.
Mon deuxième concerne les incendies géants qui touchent l'Australie depuis le mois d'octobre. Quelle est la surface détruite par ces méga-feux que l'on explique par une très longue période de sécheresse ? Tout le monde n'est pas d'accord. À l'heure où nous bouclons, il est question de 80 000 kilomètres carrés, soit une surface équivalente à la surface de l'Irlande… Mais, plutôt que de se focaliser sur la mesure de ces dégâts, n'y aurait-il pas un indicateur pour nous aider en amont à anticiper et à endiguer de tels désastres ?
Enfin mon troisième est le résultat d'une modélisation sur les traitements naturels. Le syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet), dont les produits sont régulièrement sous le feu des critiques, a fait appel à un institut indépendant ainsi qu'à des chercheurs cliniciens hospitaliers. L'objectif : mettre en corrélation l'effet de ces remèdes naturels au niveau physiologique avec l'impact de leur utilisation préventive sur les dépenses de soin. Ainsi, pour les problèmes d'arthrose, une supplémentation en glucosamine et chondroïtine proposée à bon escient, aurait permis d'économiser 1,6 million d'euros en 2017. Par rapport aux 12 milliards d'euros consacrés à cette pathologie, l'économie est somme toute relative. Mais, elle prend un autre relief au regard des 1,2 million de personnes qui en ont retiré un mieux-être. Ces calculs devraient nous sensibiliser à l'importance de la prévention, mais le chemin pour y parvenir est bien tortueux !
Si on ne cesse de progresser dans l'analyse de ces mille-feuilles, élaborant des indicateurs toujours plus pointus, gardons-nous d'oublier notre bon sens et notre intuition. Quand il s'agit de climat et de santé, la multiplication des chiffres n'est pas forcément signe de progrès.