Du comportement des plantes
« L'homme occidental se pense généralement supérieur à l'animal et au végétal parce qu'il est capable d'élaborer des concepts abstraits, de construire des voitures ou de peindre des œuvres d'art. Toutefois, il est incapable de façonner une termitière, de naviguer dans le ciel sans carte ni GPS comme les oiseaux migrateurs ou de communiquer en utilisant des infrasons comme les éléphants ou les baleines. Vouloir établir une hiérarchie entre hommes, animaux et plantes est une entreprise aussi vaine qu'inutile. Chaque espèce est unique, et chacune possède une forme d'intelligence adaptée aux conditions de son environnement et de son mode de vie.
On peut aussi se demander où placer le curseur pour déterminer l'intelligence d'une espèce. Où commence-t-elle ? Où s'arrête-t-elle ? Les intelligences d'une abeille, d'un chimpanzé, d'un enfant ou d'un camélia ne sont évidemment pas les mêmes. Qui peut cependant dire s'il en est une meilleure qu'une autre ? Chacune est adaptée aux défis que l'espèce doit relever. Le chimpanzé doit trouver des sources de nourriture dans la forêt. Utiliser un outil pour accéder à des termites lui donnera un avantage sur le voisin qui ignore la technique : une dose supplémentaire de protéines. L'abeille vit en société et concourt donc à la bonne marche de sa ruche. Quand elle trouve une source importante de nectar, elle va utiliser un langage pour communiquer avec la colonie. Les racines d'un camélia qui poussent en terrain caillouteux devront sans cesse analyser les obstacles et les contourner tels des vers qui se fraient un chemin.
Ce qui nous ramène à mes années universitaires. Lors de mon premier cours de master, notre professeur d'éthologie nous posa une question apparemment simple : “ Qu'est-ce que le comportement ? ” Aucun étudiant ne réussit à donner une réponse. […] Alors le professeur mit fin à notre supplice : “ Se comporter, c'est agir, c'est poser des actes ”, affirma-t-il. Il ajouta que cette capacité d'action était ce qui faisait la différence entre le monde animal, humains compris, et celui des végétaux. Car seuls les animaux se comporteraient.
Mais aujourd'hui, je vais devoir contredire mon professeur. Sa définition est toujours exacte, mais on ne peut pas la restreindre au monde animal. Nous verrons que les plantes ne font pas que pousser sans but, elles se meuvent intentionnellement. […] Bien sûr, ces mouvements sont difficiles à observer, car la plupart sont très lents. Mais de nos jours, la technologie nous permet de filmer ces comportements et de les observer en accéléré. Ainsi, employer les termes de comportement et d'intelligence en parlant des végétaux n'est plus une hérésie.
Au cours du XXe siècle, les éthologues ont réussi à faire admettre l'existence d'une intelligence chez l'animal. Nombreux étaient les scientifiques qui souhaitaient restreindre ce terme à l'être humain. Aujourd'hui, elle est largement acceptée et étudiée. Il en sera probablement de même pour l'intelligence végétale. »
Texte extrait de L'intelligence des plantes, éd. Ulmer, mars 2018.