Refaire société
Après le confinement… le déconfinement et depuis le 11 mai, un certain nombre de seuils que, petit à petit, nous franchissons à nouveau. Parmi ceux-ci, l’ouverture des parcs et jardins restera pour moi un des temps forts et marquants de cette période. D’abord, parce que la surprise a été au rendez-vous : en ce début de printemps, après plus de deux mois « d’abandon » par les jardiniers, nous avons redécouvert des espaces verts qui avaient pris leurs aises. Des herbes hautes et folles, des plates-bandes aux couleurs beaucoup moins uniformes et, là où je me rends le plus souvent, des plantes grimpantes, aromatiques, potagères, qui s’étaient affranchies des carrés qu’on leur avait attribués ! Ainsi, les canons de l’esthétique des jardins avaient laissé la place à un tout autre tableau, je parlerais même de spectacle, profondément réjouissant ! La chandelle jaune d’un magnifique bouillon blanc imposant sa douceur. Les délicates nigelles se faufilant partout, non loin un fenouil encore tout ébouriffé. Bientôt un promeneur me renseignait sur la verveine de Buenos Aires que je n’étais pas sûre de reconnaître. Un autre s’étonnait de la hauteur atteinte par la hampe florale d’une brassicacée, « bien qu’il n’ait pas beaucoup plu ». Les langues se déliaient aussi ! Ce méli-mélo végétal foisonnant, voire luxuriant, provoquait de l’étonnement, mais aussi de la complicité, des échanges et je suis sûre que si par un coup de baguette magique les jardiniers avaient pu tout repositionner comme si leur travail n’avait pas été interrompu, cela ne nous aurait pas fait le même effet.
Comment ne pas être interpellé par tout ce que les plantes avaient fait sans nous en découvrant la nouvelle biodiversité créée de toutes pièces. Le botaniste et écologue Jean-Marie Pelt utilisait une expression qui, me semble-t-il, fait encore plus sens aujourd’hui. Il parlait de société végétale. Après avoir observé comment les plantes tissent des liens entre elles, font preuve de cohabitation intelligente, il expliquait que « chacun occupe sa niche, accomplit sa tâche au profit de l’équilibre général comme ceux d’une société (écoles, hôpital, usine, sécurité sociale…). »
Alors que nous sortons fortement ébranlés de la crise sanitaire du Covid-19, je suis convaincue que nous avons encore plus besoin que de coutume de nous relier à ce monde naturel, fait de complémentarité, de services rendus. Non pour en faire un modèle. Jean-Marie Pelt ne minimisait d’ailleurs pas la complexité et la part de compétition s’y exerçant. Mais parce qu’il y a quelque chose de profondément bienfaisant à renouer avec l’environnement auquel nous appartenons. Nous y consacrons le dossier de ce numéro d’été en mettant en avant toutes sortes de façons de refaire alliance avec le vivant. Une alliance non pas fondée sur un hédonisme individualiste, mais sur une recherche de joie et de bien-être commun.
J’y vois le prérequis nécessaire pour mieux penser, non pas le monde d’après, tant il n’est pas sûr que l’on puisse refermer déjà la question du Covid-19, mais la vie maintenant. Et si cet été reprendre des forces au contact de la nature était le véritable mot d’ordre ?