Une victoire ?
Historique, décisive… Les commentaires sont allés bon train après la décision du tribunal administratif de Paris concluant au « manquement de l’État » et à « sa responsabilité » dans le non-respect de ses objectifs climatiques. Cette condamnation de l’État, en ce 3 février, est sans conteste une date importante. Elle fait suite au recours de quatre ONG réunies au sein de « l’Affaire du siècle » – Oxfam, Greenpeace, Notre affaire à tous et la Fondation pour la nature et l’homme –, à une campagne massivement relayée sur les réseaux sociaux qui a suscité un large mouvement avec 2,3 millions de citoyens pétitionnaires et à deux années d’instruction. Cette décision de justice réjouit. Elle rappelle quelque chose de fondamental au politique, à savoir que les promesses engagent.
La cause écologique a sans doute gagné une manche décisive, et on peut y sentir le goût d’une victoire… Mais, excusez-moi de doucher un peu l’enthousiasme que vous avez sans doute ressenti à cette annonce : cette bonne nouvelle doit aussi nous interroger, car elle est à double tranchant. D’abord, parce qu’elle est avant tout symbolique. Pour le moment, l’État a été condamné à verser un euro aux ONG, mais on ne lui demande pas de prendre des mesures concrètes pour réparer le préjudice causé. Le tribunal a demandé deux mois supplémentaires pour en décider. Il ne faudrait pas non plus croire que dans cette affaire du réchauffement climatique, l’État détient toutes les manettes. Ce serait oublier un peu vite les acteurs du monde économique, mais aussi les citoyens que nous sommes.
Et puis, sur le fond, voulons-nous vraiment faire du glaive de la justice l’arme principale pour faire pression sur l’état et faire avancer la cause du climat ? Cette tendance à la judiciarisation n’est pas complètement nouvelle, elle est déjà en action depuis la fin du XXe siècle. Ainsi, en cas de catastrophe naturelle, que l’on se refuse toujours à appeler catastrophe climatique, on peut rechercher la responsabilité des pouvoirs publics, dont on attend prévention et protection. Des procédures ont lieu régulièrement, en se fondant sur les lois en vigueur. Avec des résultats parfois bien décevants. Ainsi, le Conseil d’État avait estimé en 2017, que la loi du 17 août 2015 relative, entre autres, à la limitation des émissions de gaz à effet de serre n’était pas de nature à faire obstacle à la construction de l’autoroute A45.
Enfin, est-ce vraiment à des tribunaux qu’il faut confier la défense de la nature au prétexte qu’elle « n’a pas de représentants » comme l’a argumenté Clémentine Baldon, une des avocates de « l’Affaire du siècle ». En disant cela, rendons-nous vraiment justice à la puissance du vivant ? J’aurais plutôt tendance à penser qu’une fois de plus nous flattons l’orgueil et le sentiment de supériorité des hommes, un chemin tortueux pour défendre la nature.
Alors réjouissons-nous de cette décision de justice, mais voyons-la comme une invitation à nous mobiliser davantage pour agir sur le dérèglement climatique. Ça tombe bien, le projet de loi issu du travail de la Convention citoyenne pour le climat doit être discuté fin mars* devant le Parlement. Or, si on s’en tient aux 65 mesures du texte, nous ne serons pas en mesure d’atteindre les 40 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre à laquelle la France s’est engagée d’ici à 2030.