Vous avez dit ethnobotanique ?
Avec le renouveau de la végétation, les sorties dans la nature reprennent. Entre cueillette sauvage, reconnaissance de la flore locale, transformation en remèdes, il est souvent question d’ethnobotanique. On ne prononce pas forcément le mot, mais on raconte que l’achillée millefeuille doit son nom à Achille qui s’en servit pour guérir sa plaie au talon, et celles de ses soldats, lors de la guerre de Troie. Que cette plante était dans la trousse d’urgence pendant la Première Guerre mondiale, ce qui lui donna le surnom d’« herbe aux miliaires ».
Mais faire de l’ethnobotanique, ce n’est pas raconter des « petites » histoires, c’est étudier en profondeur les relations qu’entretiennent les hommes avec les végétaux. Ainsi, analyser comment les peuplades autochtones au nord du Québec ont adapté leurs cures à base de plantes pour lutter contre le diabète de type 2, c’est aussi de l’ethnobotanique. La discipline recouvre croyances, symboliques et légendes, mais aussi les utilisations pratiques et thérapeutiques impliquant le végétal. Un champ très large qui explique qu’elle reste assez mal connue. Peut-être aussi parce qu’elle se situe au carrefour entre les sciences humaines (l’ethnologie) et les sciences naturelles (la botanique). Entre le régionalisme, qui peut vite basculer dans le folklore, et l’érudition qu’implique la démarche tant elle requiert de vastes connaissances, elle a du mal à trouver l’écho qu’elle mériterait.
Pourtant dans le contexte d’un intérêt renouvelé pour les plantes, on devrait s’intéresser à cette discipline avec sérieux. Au-delà du voyage dans le temps et dans les pratiques, il est important de réfléchir aux liens que nous entretenons avec les plantes et à l’usage que nous en faisons. Quand nous mettons en perspective des savoirs et leur redonnons une cohérence, nous favorisons leur transmission en donnant la possibilité à un grand nombre de se les approprier. Les vertus thérapeutiques s’en trouvent précisées, réaffirmées.
D’ailleurs, l’ethnobotanique, ouvre sur une autre discipline, à dominante médicale : l’ethnopharmacologie qui recense et étudie les pratiques de soins des sociétés traditionnelles utilisant notamment la matière végétale. En France, la SFE* défend cette approche, mais il faut plutôt s’éloigner de nos contrées pour la voir à l’œuvre. Ainsi en Indonésie, pays à la riche biodiversité, un travail est mené depuis 2013 sous la houlette du ministère de la santé. En rencontrant les membres de quelque 400 communautés autochtones, les chercheurs ont enregistré 32 000 préparations à base de plantes, révélant ainsi un savoir énorme construit de génération en génération. Après avoir été analysés par la médecine moderne, certains de ces remèdes semblent bien placés pour renforcer la résistance de nos organismes face au Covid-19.
Voilà qui ouvre des horizons. Hélas, il y a peu de chance que notre science médicale, qui ne jure que par des médicaments high-tech, y trouve un intérêt. Voilà pourquoi je suggère qu’on lance une enquête ethnobotanique pour comprendre le fossé qui sépare toujours ces différentes approches et marginalise certains savoirs. Cela serait très instructif.