Forces minuscules
Et si, pour ce numéro d’été, nous commencions par un petit devoir de vacances? Imaginer une industrie agrochimique durable, attractive, innovante, responsable... Le thème est un peu éloigné de nos préoccupations à Plantes & Santé, mais vous allez comprendre
D’un côté, nous avons un groupe mondial inventeur de l’aspirine et pourvoyeur de bon nombre de pesticides néonicotinoïdes ; de l’autre, une multinationale spécialisée dans l’éradication des mauvaises herbes et dans les semences OGM. Additionnez les deux. À votre avis, le résultat peut-il offrir des solutions intéressantes et innovantes aux agriculteurs ? Vous les avez sans doute identifiés, car les protagonistes de cette équation existent bel et bien, et le scénario n’est hélas pas un cas d’école : Bayer, qui pèse 46,3 milliards d’euros et emploie 110 000 salariés, a en effet proposé d’acquérir Monsanto (15 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 20 000 salariés) pour plus de 60 milliards d’euros.
Alors que je vous en parle, l’acquisition n’a pas encore été validée, mais si elle prend forme, on assistera à l’alliance du numéro deux mondial de l’agrochimie, appelée « science des récoltes » chez Bayer (18 % du marché), avec le leader des semences OGM (26 % du marché). Ainsi, le commerce mondial, alimenté au deux tiers par les entreprises transnationales, va donner naissance à un nouveau mastodonte... Un « leader mondial de l’agriculture » – on notera la simplicité de l’ambition – bien décidé à faire la pluie et le beau temps, en particulier pour infléchir en sa faveur les réglementations encadrant la vente de ses produits. Mais les colosses ont souvent des pieds d’argile. D’ailleurs, Monsanto a essuyé plusieurs revers dans son combat pour le renouvellement de l’autorisation du glyphosate (les États ont refusé de prolonger l’autorisation de 18 mois).
Dans la nature, on rencontre aussi des géants, comme le phallus de Titan dont l’inflorescence atteint 5 à 6 mètres de haut. Mais ils sont finalement plutôt rares. Si vous aimez les plantes, vous savez fort bien que lors d’une promenade botanique, c’est plutôt une loupe qu’il faut emporter. Détecter les taches, par exemple, qui, dans la famille des Apiacées, signent la toxicité nécessite souvent de voir de très près. Il faut encore s’approcher pour repérer la fine transparence des petits trous sur les feuilles d’un millepertuis ou, au cœur des fleurs, la tige de l’étamine coiffée de son petit sac à pollen, le pistil composé d’un ou plusieurs carpelles... Toutes ces petitesses nous invitent paradoxalement au respect. Ces délicatesses minuscules, ces compositions sophistiquées qui s’offrent aux curieux nous propulsent dans un pays à la fois intrigant et merveilleux. Et il devient évident que le monde végétal, s’il a horreur du vide, n’a jamais fait du gigantisme un gage de succès. Une fois de plus, l’on devrait s’en inspirer...