Nouveaux continents et nouvelles plantes
En 1492, Christophe Colomb découvrait l’Amérique… Si la portée historique et symbolique de cette date est frappante pour tout un chacun, elle l’est d’autant plus pour les passionnés de plantes : les trouvailles faites de l’autre côté de l’Atlantique vont en effet entraîner un renouvellement complet de notre pharmacopée.
Si j’évoque aujourd’hui ce moment historique important, c’est qu’un livre passionnant vient de paraître, intitulé « Une histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde ». Pour écrire cet ouvrage, le chercheur Samir Boumediene s’est plongé dans les archives de cette époque, aussi bien en Espagne qu’en Italie, au Mexique ou au Pérou… Au prisme de ces textes, il raconte un vécu qu’il décode d’un point de vue économique et politique.
Nous voilà donc projetés avec les Espagnols qui, découvrant une flore totalement nouvelle, s’intéressent uniquement à ce qui leur évoque les précieuses épices – cannelle ou poivre – qu’ils étaient venus chercher initialement aux « Indes occidentales ». Nous découvrons des conquistadors qui ne font confiance qu’à la pharmacopée européenne embarquée sur leurs navires, mais pour qui l’usage des plantes américaines devient soudainement un enjeu militaire, souvent vital. Nous voyons comment leur appétit croissant les conduit à soumettre des prisonniers indigènes à la question, à s’attirer la confiance d’un guérisseur, d’un chef rituel ou d’un esclave…
Nous voilà remontant le fil de l’histoire à la rencontre de logiques mêlant étroitement médecine et commerce : on y découvre comment, pendant un temps, le bois de gaïac a pu devenir le remède officiel contre la syphilis (venue d’Amérique) et l’on tente de retracer l’arrivée en Europe des écorces de quinquina, employées contre les fièvres intermittentes. Autour des plantes médicinales s’affairent des soldats, des missionnaires, des marchands, mais on croise aussi des médecins, des naturalistes, des collectionneurs, qui interagissent avec les puissants, de la Couronne d’Espagne à l’Église catholique… En multipliant les points de vue, Samir Boumediene livre une analyse très originale sur cette longue période d’acquisition, d’appropriation, voire de manipulation du savoir sur les plantes, au fil des allers-retours de part et d’autre de l’Atlantique : l’Inquisition, par exemple, qui empêcha la transmission des rituels autour de plantes telles que le peyotl ou la coca.
Ainsi, en évoquant les plantes médicinales à la fois comme marchandises, rites, soins, mais aussi comme modes de vie et enjeux pour les gouvernants, influençant les théories médicales et religieuses, Samir Boumediene dessine les lignes d’une évolution historique beaucoup plus ample, qui accompagna l’expansion européenne jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle. Il raconte finalement la profonde transformation de nos connaissances (à laquelle les plantes ont contribué). À Nouveau Monde, nouvelle médecine… À Nouveau Monde, nécessité de repenser notre façon de comprendre les choses. L’idée ne peut que faire écho aujourd’hui. Certes, nous n’avons pas découvert de nouveaux territoires, mais notre époque, entre mondialisation et avancées scientifiques vertigineuses, n’en est pas moins marquée par des bouleversements structurels puissants. Et si, à la lumière de cette histoire longue, nous envisagions ces changements comme un nouveau continent à explorer, un monde nouveau à construire ?