Cueillir et déguster la luzerne
Manger de la luzerne ? Mais… c'est pour les animaux ! Eh bien mettons de côté nos préjugés et en route pour quelques surprises. Cependant, il y a un secret : si l'on veut manger de la luzerne, il faut la récolter tôt en saison pour éviter une trop grande amertume.
La luzerne, je la connais depuis que je suis petit, comme tous les enfants qui ont passé une partie de leur vie à la campagne. Notre voisin, monsieur Villette, gardait quelques lapins dans des clapiers brinquebalants. Et chaque jour, il allait récolter un peu de luzerne pour leur donner à grignoter, en complément de foin odorant et de berce fraîche. La luzerne, me disait-il, est riche en calcium et bonne pour leur santé. Je n'y comprenais pas grand-chose, mais j'aimais observer ces charmants animaux dévorer avec appétit les herbes vertes.
Jamais je n'aurais pensé manger de la luzerne, même plus tard, lorsque je me mis à consommer moi-même des « herbes à lapin » c'est le nom populaire de plusieurs plantes des prairies – en particulier de la berce et du panais sauvage. Je savais bien que cette plante, proche des trèfles, était parfaitement comestible mais, je l'avoue, je la dédaignais superbement ! Mon opinion changea du tout au tout au cours d'un voyage au Maroc, lorsque, entre Ouarzazate et Marrakech, sur les contreforts de l'Atlas, nous passâmes une nuit dans une auberge. Le couple très accueillant qui nous reçut se montra fort intéressé par les plantes et nous échangeâmes un peu nos connaissances. Quand vint le soir nous eûmes droit à la spécialité locale, le baddaz, un couscous de semoule de maïs servi avec une sauce de feuilles de luzerne parfumée à la cannelle.
Le lendemain matin, notre hôte nous emmena dans ses champs en terrasses où il cultivait la luzerne. Je fus bluffé par la saveur douce et agréable de ses jeunes pousses, moi qui n'avais jusqu'alors goûté que les feuilles développées de la plante en fleurs, amères et déplaisantes. Le secret est là et il est tout simple : si l'on veut manger de la luzerne, il faut la récolter tôt en saison. Depuis cette époque, je cuisine couramment ce plat berbère dans mes stages, et je sais maintenant à partir de quel stade il ne faut plus la ramasser, sous peine de déceler dans la sauce une amertume trop prononcée.
Herbier
La luzerne cultivée (Medicago sativa) est une plante vivace de 30 à 80 centimètres, peu...
poilue, dont les parties souterraines s'enfoncent loin dans le sol. Les tiges, dressées à la base, se divisent en nombreux rameaux. Elles portent une multitude de feuilles composées de trois folioles obovales ou oblongues, dentées au sommet et, à la base, des stipules rétrécies en une longue pointe. Les petites fleurs présentent une corolle d'un bleu violacé typiquement papilionacée. Elles sont réunies en grappes oblongues portées par un pédoncule plus long que la feuille. Elles s'épanouissent de juin à septembre, puis donnent de petites gousses dressées et courbées en spirale à deux ou trois tours, renfermant plusieurs graines ovales. Cultivée en grand comme plante fourragère, la luzerne apparaît fréquemment au bord des chemins. Il existe de nombreuses espèces de luzernes natives de nos régions, dont aucune n'est toxique.
La luzerne fraîche est connue, ainsi que le trèfle et d'autres plantes, pour causer chez les bovins le phénomène de « météorisation » qui se manifeste par un gonflement plus ou moins important de la panse, pouvant faire suffoquer la bête. Cela serait dû à des particules de protéines et aux saponines de la plante provoquant la stabilisation d'une mousse produite lors de la digestion. Percer la panse s'avère parfois nécessaire.
Peut-être vous arrive-t-il de manger de la luzerne sans le savoir ? Lorsque vous achetez dans votre magasin bio des « pousses d'alfalfa » ou que vous en faites germer vous-même les graines, il s'agit bel et bien de luzerne. Alfalfa est le nom arabe de cette plante cultivée depuis l'Antiquité. Les Anglo-Saxons l'ont adoptée en mettant à la mode la coutume des graines germées, traditionnelle au Proche-Orient où l'on apprécie particulièrement les graines de fenugrec, un cousin odorant de la luzerne. Les Européens, copiant en tout les Américains, reproduisirent dans les années 1980 cette (bonne) habitude alimentaire… avec l'appellation utilisée outre-Atlantique. Pour les Anciens, la luzerne était originaire de Médie qui, unie à la Perse, est devenue l'Iran actuel. De là provient son nom botanique de Medicago.
Les feuilles de luzerne sont riches en fer, en calcium, en potassium et en magnésium. Elles renferment également beaucoup de provitamines A, de vitamine C et sont connues pour être une très bonne source de vitamine K, nécessaire à l'imperméabilité des vaisseaux capillaires. Des travaux remontant à une cinquantaine d'années ont mis en évidence leur teneur importante en protéines complètes, équilibrées en acides aminés essentiels, c'est-à-dire de même valeur que les protéines animales. Cette découverte a depuis été extrapolée aux feuilles vertes de tous les végétaux, dont les protéines se sont révélées d'excellente qualité nutritionnelle.
Ces protéines concernent les parties vivantes des plantes, par opposition à celles des organes de réserve que sont les graines, dont les protéines sont carencées en certains acides aminés essentiels. Les protéines foliaires sont liées à la chlorophylle, que l'on peut extraire soi-même pour l'utiliser en cuisine comme superbe colorant vert.
Recette sauvage
Ingrédients :
300 g de polenta moyenne • 1 l d'eau • 3 oignons • 3 c. à soupe d'huile d'olive • 400 g de jeunes feuilles de luzerne • ¾ de l de bouillon d'épluchure ou de légumes • 1 c. à soupe de vinaigre, sel • 1 c. à café de cannelle • cumin • coriandre • fenouil et 4 épices • 2 gousses d'ail.
Préparation :
- Faites tremper la polenta dans l’eau pendant quinze minutes.
- Faites-la cuire à la vapeur, dans un couscoussier, pendant dix minutes environ.
- Faites fondre les oignons dans 2 cuillerées à soupe d’huile d’olive et ajoutez la luzerne finement hachée.
- Laissez cuire jusqu’à ce que les légumes aient fondu, puis ajoutez le bouillon et le vinaigre. Salez.
- Réduisez les épices en poudre au moulin à café et ajoutez-les en cours de cuisson, puis à la fin. Ajoutez alors l’ail haché et la cuillerée à soupe d’huile d’olive restante. Mélangez bien le tout ou mixez.
- Servez la polenta en grains bien séparés les uns des autres, accompagnée, à part, de la sauce de luzerne.
Plus d'informations sur le site de l'auteur : https://couplan.com/