Les plantes plus fortes que les pesticides
Après l'échec des deux premiers plans Ecophyto, le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, lance un nouveau programme pour réduire l'usage des intrants chimiques et simplifie l'accès à des pesticides et bio-stimulants naturels. Mais si ces mélanges à base de plantes se vulgarisent, c'est surtout grâce à la ténacité des acteurs de terrain…
À la fin des années 1960, les intrants chimiques se sont imposés dans nos systèmes de culture. À tel point qu’ils paraissent désormais irremplaçables. Pourtant, les études démontrant le danger lié à leur utilisation se multiplient ; il apparaît aujourd’hui urgent de repasser à des méthodes plus naturelles. Tout le système est à repenser, et les filières agricoles s’organisent petit à petit en prenant exemple sur les techniques éprouvées depuis longtemps par les paysans bio et les jardiniers. Les agriculteurs peuvent aussi compter sur les nombreuses possibilités offertes par le monde végétal.
De nombreuses plantes peuvent en effet avoir de multiples actions, proches de celles des pesticides, telles que des effets fongicides, herbicides ou encore insecticides, avec un spectre d’action souvent plus large. Mais, il apparaît tout de même nécessaire de revoir la législation pour faciliter la démarche des agriculteurs voulant passer à l’agro-écologie. En effet, pour le moment, tout cela est assez compliqué d’un point de vue réglementaire, d’autant que le lobby des intrants chimiques est très puissant. Si les agriculteurs peuvent assez rapidement mettre en place certains principes comme la culture en rotation, l’utilisation des plantes pour leur effet biostimulant n’a encore rien d’évident.
Mais peut-être que le troisième plan national de réduction des produits phytosanitaires, Ecophyto 2+, lancé en janvier dernier, pourrait changer les choses. Au programme : une simplification des procédures autorisant l’emploi de produits naturels à usage biostimulant, ainsi que la mise en place d’un réseau pilote de 3 000 exploitations agricoles. Les fermes Dephy (aussi bien en polyculture-élevage, qu’en grandes cultures, arboriculture fruitière, productions légumières, viticulture, horticulture, cultures tropicales…) se sont engagées dans une démarche volontaire de réduction des pesticides. Par ailleurs, des mélanges à base de plantes, souvent connus des agriculteurs bio, se diversifient et commencent à se démocratiser.
Soigner les cultures autrement
La préparation la plus connue des jardiniers est sans doute le purin d’ortie. Engrais naturel, antiparasitaire redoutable et insecticide, il se fabrique tout simplement en mélangeant de l’ortie fraîche à de l’eau. Les cultivateurs de pomme de terre notamment les utilisent depuis toujours pour lutter contre le mildiou et les pucerons. Mais si les agriculteurs ont le droit d’en utiliser aujourd’hui, cela n’a pas toujours été évident. Longtemps interdit, il a fallu que Patrice Marchand, expert en substances naturelles à l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) soumette une recette de préparation de purin d’ortie à l’Union européenne et monte un dossier d’homologation pour faire avancer les choses.
La Direction générale de la santé et de la protection des consommateurs et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ont ensuite examiné la préparation, « y apportant au passage quelques modifications sous la pression des lobbies afin de réduire son efficacité », soutient Stéphane Pestel de SPN Agrobio, fabricant de solutions naturelles utilisables en agriculture biologique. Après un peu plus d’un an, en mars 2017, cette recette a enfin reçu l’approbation de la Commission européenne lui permettant d’être commercialisée et d’être utilisée par tous les agriculteurs, à condition que la recette homologuée soit respectée.
De la même manière, vingt autres recettes de substances de bases ont été approuvées au niveau européen parmi lesquelles l’écorce de saule et la décoction de prêle. Cette dernière est réputée pour l’efficacité de sa silice. Celle-ci crée une barrière physique et mécanique sur les plantations afin d’empêcher toute colonisation par les champignons.
À usage biostimulant
La bardane fait partie des plantes utilisées en agriculture biologique notamment comme fertilisant avec l’achillée millefeuille, l’angélique, la bourrache, le frêne, le lin, le myrte, la menthe ou encore la luzerne. C’est pourquoi elle fait partie des substances naturelles à usage biostimulant. Son usage le plus courant se fait sous la forme d’un extrait fermenté. Il contient de la potasse, un des éléments majeurs indispensables à la croissance des plantes au même titre que l’azote ou le phosphore.
Un nouveau décret, entré en vigueur le 17 avril dernier, dont on attend toujours les textes d’application, va étendre la liste des fertilisants naturels autorisés en agriculture à « toute substance naturelle à usage biostimulant élaborée à partir des parties consommables des plantes utilisées en alimentation animale et humaine ». Ainsi, « la fougère pourrait devenir utilisable comme insecticide et la consoude comme antifongique naturel… » conclut Éric Petiot, formateur en préparations naturelles pour le jardin et auteur de plusieurs ouvrages.
Recherches pour remplacer le glyphosate
- L’entreprise Osmobio a investi plus d’un million d’euros en Recherche et développement pour un désherbant à base d’algues brunes et d’huiles essentielles. Mais depuis le premier dépôt de son dossier en 2009, il a été refusé à plusieurs reprises par l’Anses. « Ce produit dérange tout le système des lobbies, alors même que c’est un petit moustique ! », estime Jacques Le Verger, dirigeant de Osmobio. De nouvelles discussions sont en cours avec l’agence.
- Des chercheurs du CNRS, de Polytechnique et de la Sorbonne viennent de déposer une demande de brevet pour un nouvel herbicide naturel. Ce dernier est issu de la radulanine A, une molécule présente dans les hépatiques, des mousses végétales présentes notamment dans les forêts et les zones humides.
De leur côté, les hydrolysats de protéines font partie des biostimulants organiques les plus utilisés. Cette autre catégorie de produits est définie par la Commission européenne comme « des fertilisants qui stimulent le processus de nutrition des végétaux ». L’un des plus connus est l’hydrolysat de luzerne. Il s’agit d’un mélange d’acides aminés et de peptides issus du foin de cette plante qui va stimuler les processus naturels de nutrition des végétaux. Cet apport en protéines va induire une croissance significative des racines et des feuilles, par exemple du maïs, ainsi que leur rendement et leur qualité. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises rivalisent de brevets pour rendre l’hydrolysat de luzerne plus soluble dans l’eau et donc plus facilement utilisable pour les agriculteurs.
À côté, il existe de nombreux autres biostimulants organiques tels que les extraits d’algues brunes de varech utilisées depuis longtemps par les agriculteurs comme engrais pour augmenter la fertilité de leur sol.
Une huile essentielle insecticide
L’entreprise française Vivagro, spécialisée dans les produits de protection et de nutrition des cultures a été autorisée à commercialiser de l’huile essentielle d’orange douce. Ses formules, contenant 6 % de cette huile, sont utilisées comme insecticide ou fongicide par des vignerons, des arboriculteurs, des maraîchers et des horticulteurs. Cet agrume fait exception à ce jour. En effet, très peu d’huiles essentielles peuvent être utilisées par les agriculteurs. Et pour cause, les démarches pour se mettre en règle sont nombreuses : soit on monte un dossier avec l’Itab pour obtenir l’autorisation d’utiliser cette plante distillée, une autorisation valable alors pour tous (y compris un concurrent) ; soit on monte un dossier pour obtenir le statut de substance phytopharmaceutique ce qui permet d’en garder l’exclusivité.
Une solution chronophage et coûteuse pourtant choisie par Vivagro. « Il faut compter entre douze et dix-huit mois pour monter un dossier, le faire évaluer par différents organismes européens, avant d’obtenir une éventuelle approbation de la Commission européenne, puis obtenir une autorisation de mise sur le marché en France. Ces démarches peuvent coûter jusqu’à un million d’euros si aucune donnée bibliographique publique n’est fournie sur l’huile essentielle en question – ce qui décourage pas mal de start-up qui voudraient se lancer dans la commercialisation d’HE à usage agricole », regrette Maxime Le Moing, responsable technique chez Vivagro. Ce que regrette aussi Éric Petiot : « Il n’y a pas une molécule chimique qui puisse égaler les huiles essentielles. Ainsi, même si l’on sait que l’HE d’origan compact est redoutable contre le mildiou de la vigne et l’HE de citronnelle de java contre les pucerons, ils ne sont pas près d’être disponibles pour les agriculteurs… »
Aujourd’hui, les agriculteurs doivent encore faire preuve de patience pour utiliser ces intrants naturels. Car si l’offre se développe, elle est encore limitée. Et la volonté politique, qui semble vouloir faire avancer les choses, continue de se doubler d’une réglementation ambiguë. Autant de problèmes qui n’incitent pas vraiment les agriculteurs à laisser tomber les produits issus de la chimie de synthèse.
Législation : peut encore mieux faire !
- Les textes qui régissent les pesticides naturels sont à la fois du ressort de l’Europe et de textes nationaux. Ainsi, le purin d’ortie a été autorisé par les deux législations. A contrario, la préparation de consoude n’a pas été autorisée au niveau européen, mais elle pourrait l’être au niveau français avec le décret du 17 avril 2019.
- Vingt substances ont obtenu le statut de « substances de base ». Cette homologation signifie qu’une certaine préparation de ces plantes est homologuée (décoction, fermentation, macération…), mais pas l’utilisation de la plante elle-même. Ainsi, les paysans ne peuvent pas faire les préparations qu’ils veulent avec les plantes. « Cela est un véritable frein pour les agriculteurs qui sont tentés de suivre leur recette malgré tout parce qu’ils la savent plus efficace », regrette Éric Petiot, spécialiste et formateur.
- Les huiles essentielles sont considérées comme des pesticides naturels, ce qui les classe dans la catégorie de produits phytosanitaires, les obligeant à obtenir une homologation européenne et une autorisation de mise sur le marché en France. Pourquoi ne pas les considérer comme des substances naturelles à usage biostimulant ? Cela permettrait leur démocratisation dans les champs.
Dans votre jardin, les paillages
Depuis janvier 2019 et les lois Labbé, les particuliers n’ont plus le droit d’utiliser de produits phytosanitaires chimiques. La technique du paillage – il s’agit de recouvrir ses parterres de matériaux naturels recyclables – est une des solutions de remplacement. Pensez d’abord aux résidus de votre jardinage – broyats de végétaux, herbes coupées ou haies taillées (feuillus ou résineux comme le pin maritime). Des éléments minéraux à l’instar des billes d’argiles peuvent être aussi utilisés. Tandis que dans le commerce, les propositions se multiplient avec des coques de riz ou de cacao et de la fibre de coco ; « Les paillages empêchent les indésirables de pousser tout en protégeant les sols de l’érosion et de la sécheresse » explique Laurent Largant, délégué général du syndicat de la filière (Afaïa). Possible aussi, la solution du jardin en mouvement préconisée par Gilles Clément : le paysagiste-jardinier conseille d’intervenir le moins possible !