L'épine-vinette, une agréable acidité
Parmi les petits fruits de nos régions, ceux de l'épine-vinette restent méconnus. On détruisait même systématiquement, naguère, la plante qui les porte. Abondants par endroits, et savoureux, ces fruits méritent un regain d'intérêt.
Certaines plantes me sont longtemps restées mystérieuses. L’une d’entre elles était l’épine-vinette. Ce n’était pas tant la plante elle-même, car il y en avait bien d’autres dont je ne savais rien, mais plutôt ce que me racontait ma mère de sa préparation. La tradition voulait qu’à Bar-le-Duc, préfecture de la Meuse, on fabriquât de ses fruits une confiture particulièrement délicate en retirant de chacun l’unique noyau à la plume d’oie. J’imaginais, dans une cuisine obscure une cohorte de jeunes filles et de vieilles femmes, le dos courbé, les yeux fixés sur leurs doigts agiles maniant avec dextérité une grande plume taillée en biseau pour extraire la mince graine de la pulpe parfumée. La chose me paraissait extraordinaire. Elle l’est tellement, d’ailleurs, que le processus a aujourd’hui totalement disparu en ce qui concerne ces fruits. Cela se pratique encore pour les groseilles : une célèbre maison barroise vend toujours, y compris sur Internet, des confitures de groseilles, rouges et blanches, épépinées manuellement à la plume et ce, pour la modique somme de vingt euros les cent grammes. L’avantage est qu’à deux cents euros le kilo, il n’y a guère de risque d’abuser de ces sucreries…
En outre, elle était rare, cette épine-vinette, sur l’ensemble du territoire, car on l’accusait de propager la rouille noire du blé (Puccinia graminis), une maladie fongique dont elle se trouve être l’hôte secondaire. Ce champignon aux spores sombres causait jadis des ravages dans les cultures de céréales avant l’emploi massif des pesticides et l’éradication de l’arbrisseau de nos campagnes. Il fut ainsi repoussé jusque dans les montagnes où il croît localement en relative abondance. Je le rencontrai pour la première fois dans les Hautes-Alpes un beau jour de fin d’été et n’eus aucune difficulté à le reconnaître tant ses caractères sont marqués : de petites feuilles dentées, plus larges vers leur sommet, sous-tendues par de fines épines acérées, et de courtes grappes pendantes de petits fruits rouges allongés évoquant des grains de raisin...
miniatures, d’où « vinette ». Tels quels, je les trouvai bien acide et compris pourquoi on les transformait habituellement en confitures et en gelées. Mais n’étant pas moi-même particulièrement « bec sucré », j’optai plutôt pour la confection de sauces salées, acidulées et piquantes de type chutney dont j’accompagnai volontiers divers légumes, un bol de boulghour ou de millet. Aujourd’hui, je le verrais bien rehausser les plats de sanglier que m’offrent mes voisins chasseurs. Il m’est arrivé aussi de les conserver au vinaigre comme les cornichons – de très petits cornichons… La cueillette des fruits est délicate : il faut se méfier en les ramassant de ne pas se blesser aux épines qui garnissent les rameaux.
Herbier
L’épine-vinette (Berberis vulgaris) est un arbrisseau de 1 à 3 m, touffu et épineux. Ses tiges, dressées et ramifiées, à l’écorce grisâtre, portent à la base des feuilles des épines disposées par 3. Les feuilles sont sessiles, spatulées, longues d’environ 3 cm et bordées de cils raides. Elles sont groupées en touffes le long et à l’aisselle des rameaux. Les fleurs, réunies en longues grappes vers l’extrémité des rameaux, sont munies de 6 sépales, 6 pétales jaunes et 6 étamines excitables : dès qu’un insecte les frôle, elles s’inclinent avec une rapidité fulgurante vers le centre de la fleur. Elles s’épanouissent en mai-juin et donnent de petits fruits – de 1 à 1,5 cm de long – d’un rouge vif, possédant un seul noyau mince et pointu.
La plante croît plus ou moins communément dans les haies et les bois, sur les coteaux et les montagnes de presque toutes nos régions, surtout en terrain calcaire. On distingue deux autres espèces : le Berberis aetnensis en Corse, et le mahonia (Berberis aquifolium) aux fruits bleus comestibles, originaire d’Amérique du Nord, parfois subspontané dans le centre et l’ouest de l’Europe.
Les petites baies d’épine-vinette sont très riches en vitamine C. Elles renferment aussi des acides organiques, des sucres et de la pectine, ainsi que d’importantes quantités de phosphore et de fer, surtout lorsqu’elles sont séchées. C’est sous cette forme que la cuisine iranienne en fait grand usage : le zereshk polo est un plat de riz agrémenté de ces petits fruits rouges acidulés.
J’utilise sans doute plus souvent que les fruits les jeunes feuilles tendres au printemps. J’aime leur saveur acidulée qui rappelle celle de l’oseille – d’ailleurs, tout comme cette dernière, elles renferment des oxalates acides qui pourraient provoquer des problèmes d’assimilation du calcium et la formation de calculs rénaux si l’on en abusait. Mais je me contente, en fait, d’en grignoter quelques-unes au passage pour leur effet désaltérant, ou d’en ajouter une poignée dans les salades.
J’aime aussi à observer l’étonnant mécanisme de pollinisation des jolies fleurs jaunes, munies d’étamines mobiles qui se referment avec une rapidité incroyable sur les insectes pour les asperger de leur pollen. Le même spectacle est offert par les fleurs de ses cousines ornementales, comme le mahonia – dont les petits fruits, bleus cette fois, sont comestibles après cuisson.
La racine de l’épine-vinette est cholagogue, laxative, tonique, fébrifuge, vasoconstrictice et de saveur très amère. Elle doit la plupart de ces propriétés à la berbérine, un alcaloïde toxique à dose moyenne, ce qui implique de l’utiliser avec modération. C’est la berbérine qui confère à l’écorce interne et au bois une surprenante couleur jaune vif.
Recette sauvage de Chutney d’épine-vinette
Ingrédients 500 g de fruits d’épine-vinette • 1 tête d’ail • 1 ombelle de fruits de berce secs • 6 gousses de cardamome • 1 c. à c. de grains de coriandre • 1 bâton de cannelle • 20 g de racine de raifort • 200 g de sucre • 3 dl de vinaigre de cidre • 3 pommes à cuire • sel, poivre
Méthode :
- Faites cuire les fruits d’épine-vinette et passez-les au moulin à légumes pour éliminer les noyaux.
- Épluchez l’ail et coupez chaque gousse en quart.
- Passez les épices au moulin à café pour obtenir une poudre fine. Râpez le raifort (attention aux émanations irritantes).
- Préparez un caramel blond en faisant fondre le sucre dans une casserole et retirez du feu dès qu’il commence à fumer. 4. Ajoutez la pulpe de fruits, le vinaigre de cidre, la poudre d’épices et l’ail. Salez, poivrez.
- Faites cuire 10 min à feu doux, ajoutez les pommes coupées en morceaux et le raifort.
- Laissez cuire 10 min en remuant. Ce chutney de couleur rouge accompagne un riz cuit à la créole, du fromage blanc, des salades, etc.
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