Au Japon, découvrez la culture du wasabi
Depuis que sushis et sashimis ont trouvé leur place sur nos tables, tout le monde connaît le puissant condiment vert qui les accompagne. Ou plutôt croit le connaître. Partons à la découverte du wasabi et de la plante dont il est issu, là où il est cultivé, notamment dans la plaine de Nagano, au Japon.
Près de la jolie ville de Matsumoto perle des Alpes japonaises, dans la vaste plaine de Nagano coulent au fond d'étroites vallées de paisibles rivières sur des lits de graviers. Plusieurs de ces affluents aux eaux très claires sont ombragés de vastes toiles noires ajourées qui serpentent entre les collines. En plein dans le vif du courant, soigneusement jardinés dans l'onde cristalline, des myriades de plants d'un végétal amphibie étalent leurs larges feuilles arrondies. Nous sommes dans la ferme Daio Wasabi Nojo, spécialisée dans la culture du célèbre condiment nippon, le wasabi – prononcez « wassabi » (et non « wazabi ») : les mots japonais se lisent syllabe par syllabe. Descendons au bord du ruisseau pour observer de plus près cette plante mythique. Ce sont d'abord ses larges feuilles lobées d'un vert foncé, groupées en touffes, qui arrêtent le regard. Leurs nervures marquées sont fortement saillantes sur leur face inférieure et de longs pétioles arrondis, épais, de couleur claire, les rattachent à une grosse structure dodue à moitié enfouie dans les gravillons rassemblés en buttes allongées. De fines racines en partent et plongent jusqu'au substrat gorgé d'eau. Des employés vêtus de bleu sélectionnent les plants suffisamment développés qu'ils arrachent et lient en bottes. Les feuilles en seront coupées et soigneusement mises de côté pour être vendues à part. Les « racines » sont ensuite lavées, triées et commercialisées sur place ou expédiées chez des grossistes dans tout le Japon.
Une denrée rare qui s'arrache à prix d'or au Japon
Vous remarquerez les guillemets à...
; « racine », car, contrairement à la croyance courante, il s'agit en fait de la tige, ou plus exactement du collet de la plante. Cette structure végétale qui fait la jonction entre les feuilles et les racines est généralement très courte, comme on le voit, par exemple, sur un navet. Mais chez le wasabi, elle s'allonge démesurément, sur une vingtaine de centimètres, voire davantage. Il ne peut en effet être question d'une racine, puisqu'elle se colore en vert du fait de la chlorophylle (comme le font les pommes de terre, qui sont des tiges souterraines) et porte nettement la cicatrice des pétioles des feuilles passées.
À la ferme, une racine de wasabi de belle taille (gardons ce terme plus pratique) se négocie pour quelque 3 000 yens, soit environ 25 euros. Le prix augmente sensiblement lorsqu'on l'achète dans un magasin en ville. La plupart du wasabi frais vendu au Japon provient de culture dans des exploitations semblables à celle que nous avons visitée, disséminées à travers l'archipel. Mais le nec plus ultra reste le wasabi sauvage qui pousse spontanément dans de rares cours d'eau en montagne – les spots en sont encore plus jalousement tenus secrets que chez nous les coins à morilles ou à cèpes… Inutile de dire que les spécimens qui circulent s'arrachent à prix d'or.
Au moment de son utilisation, la racine est traditionnellement râpée sur une peau de requin collée sur une planchette de bois appelée samekawa orochi. La purée vert pâle obtenue, extrêmement odorante et savoureuse relève divers plats – outre les sushis et les sashimis, elle accompagne traditionnellement les nouilles de sarrasin froides (zaru soba no yakumi).
Le limbe des feuilles de wasabi (wasabi no ha) se mange cuit comme légume. Si les fleurs sont épanouies, on les y ajoute.
Et chez nous
La cardamine amère (Cardamine amara) partage avec le wasabi plusieurs traits communs. Elle appartient à la même famille des brassicacées. Elle pousse les pieds dans l'eau et se rencontre le long des torrents de montagne. Elle possède la même saveur piquante. Fraîche et hachée, voire écrasée au mortier, elle fournit un condiment très semblable à l'authentique wasabi.
Des vertus antiseptiques
Le caractère aromatique et piquant de notre plante est dû à une réaction chimique d'hydrolyse qui transforme une substance inerte (glucosinolate) en une molécule fortement active (isothiocyanate). À petites doses, cette dernière stimule l'appétit et la digestion et se montre antiseptique, mais en excès, elle s'avère irritante. La modération est donc de rigueur.
Je sens qu'une question vous brûle les lèvres : « Mais est-ce que le wasabi vendu en tubes dans les épiceries asiatiques, voire les supermarchés, provient de cette culture et est-ce bien la même chose ? » Et bien, en fait, pas vraiment. Ayez la curiosité de lire la liste des ingrédients de la pâte que contiennent ces purs produits de l'industrie. Dans la plupart des cas – vérifiez-le – vous ne trouverez pas la mention Wasabia japonica, nom latin de notre plante, mais Armoracia rusticana qui est celui… du raifort, grande plante originaire d'Europe orientale et dont l'usage est répandu dans les mondes slave et germanique. Cela ne pose pas de problème aux Japonais, qui le nomment seyo wasabi – « wasabi occidental » – et l'emploient à tour de bras, car il est infiniment moins cher. Sa racine est séchée, pulvérisée, réhydratée, colorée en vert et mise en tube. Mais ce n'est pas la même plante et elle n'a pas la même saveur. La solution, si vous souhaitez déguster l'original ? Il vous faudra aller au Japon ou vous procurer des racines fraîches dans un magasin japonais dont il existe quelques spécimens dans les grandes villes.