À table avec les aborigènes de Taïwan
Paradis des outils high-tech et marchés de nuit : voici l'image habituelle qu'offre l'île de Taïwan à l'Occident. Mais on y trouve aussi des montagnes escarpées et des vallées reculées où vivent aujourd'hui encore une vingtaine d'ethnies aux traditions alimentaires très riches en végétaux et toujours d'actualité.
Taïpei ne dort jamais. On peut déguster jusqu’au petit matin dans ce temple de la gastronomie orientale du tofu puant, de la soupe de calamar et des nouilles à l’anguille, entre autres spécialités exotiques. Mais pour entrer dans un autre monde d’ambiance et de saveurs, il suffit de prendre un bus qui vous emmène en pleine montagne le long d’une rivière sinueuse jusqu’au village de Wulai. Ce district de la ville du Nouveau Taipei, surtout connu pour ses sources chaudes, est un village de l’ethnie Ayatal, des aborigènes qui ont gardé dans une certaine mesure leurs coutumes, en particulier dans le domaine alimentaire. L’étroite rue centrale du village qui s’étire en surplomb du cours d’eau est bordée de restaurants qui servent aux urbains curieux une nourriture traditionnelle où les plantes sauvages ont la part belle. Le shan hu jiao, une soupe de poulet au poivre de montagne (Litsea cubeba) est une bonne entrée en matière. Faites-la suivre par des pousses de fougère (Diplazium esculentum) et un plat de légumes sauvages, le pe tsaï, accompagné de riz cuit dans un tube de bambou avec des morceaux de tofu. Quelques crevettes de rivière et du porc longuement mijoté dans un bouillon aux épices complètent l’ensemble. Comme boisson, optez pour un cruchon de xiao mi jio, un vin de millet sucré, fort bon et passablement alcoolisé. Et en déambulant dans les rues du village, vous aurez ensuite l’occasion de déguster une gelée jaune pâle, préparée avec les graines édulcorées d’un arbre et un sirop de sucre ou un breuvage gélatineux fait à partir des graines noires d’une lamiacée locale (Hyptis suaveolens) que l’on met à tremper dans de l’eau.
Alors que les aborigènes vivaient jadis sur l’ensemble de l’île, on les rencontre aujourd’hui principalement le long de la côte orientale bordant le Pacifique. Autour de la ville de Yuli, à l’est de l’île, vit la communauté du peuple Amis dont certains, membres ont conservé les traditions anciennes. Bon nombre d’entre eux parlent toujours leurs langues d’origine.
Des plantes des forêts à l’honneur
L’une des nourritures les plus curieuses des Amis est formée du cœur blanc, croquant et légèrement amer, d’un palmier rotin (Daemonorops margaritae). La préparation du hlongueut est délicate, car la plante est armée de fortes épines qu’il faut éliminer au coupe-coupe. Les feuilles de diverses plantes de la forêt ou des champs sont préparées en bouillons et mangées avec du riz : hakulankaï (Crassocephalum crepidioides), tatakoraï (Pluchea sp.), sama’h (Ixeris chinensis) et kashipiraï (Bidens pilosa), quatre plantes de la famille des astéracées assez proches des chrysanthèmes chinois. Ajoutons tatukum (Solanum americanum), une cousine de l’aubergine, de la tomate et de la pomme de terre, dont les feuilles sont préparées en soupe, frites ou cuites à la vapeur, anatsuka-aï (Amaranthus spinosus), dont les jeunes pousses sont souvent mangées avec de la viande de bœuf, Allium bakeri, un ail à fleurs violettes, aux feuilles odorantes. La liste en serait longue. La grande fougère nid d’oiseau ou lokut (Asplenium nidus) donne ses jolies pousses recourbées. Elles sont simplement cuites à l’eau. Pour le petit déjeuner, on saupoudre fréquemment le sempiternel riz de li song, une curieuse poudre de porc, de bœuf ou de divers types de poissons mélangée… de sucre ! On peut aussi ajouter à la bouillie de riz de la racine de nio ban, la bardane râpée (Arctium lappa), puis cette fameuse poudre de viande douceâtre… La paolyta est une spécialité taïwanaise qui ne semble pas d’origine aborigène, mais dont tous raffolent à travers l’île. C’est une liqueur brune, sucrée, de goût très bizarre, élaborée à Taipei avec des racines d’angélique, de ginseng, de cnidium, une apiacée cousine de la carotte. Santé !
Des autochtones qui font revivre leur culture
Probablement venus du sud-est de la Chine vers 3 000 avant notre ère, les peuples autochtones de Taïwan se regroupent en une vingtaine d’ethnies parlant des langues proches du malais et de l’indonésien. Les Occidentaux, qui découvrent l’île en 1542 et la nomment Formosa, « la belle » en portugais, encouragent à travers les siècles qui suivent l’immigration chinoise des Han dans le but de cultiver les terres. Les aborigènes se métissent ou sont repoussés dans les zones les moins productives. En 1895, Formose devient japonaise et restera une colonie de l’empire du Soleil Levant jusqu’en 1945. En 1949, 2 millions de Chinois nationalistes fuyant la prise de pouvoir communiste débarquent sur l’île et entrent en compétition d’une façon violente avec la population locale. À l’heure actuelle, les habitants originels de Taïwan représentent environ 510 000 personnes, c’est-à-dire 2 % de la population. L’assimilation culturelle grâce au métissage et à l’acculturation forcée est responsable de l’extinction d’une perte d’identité ethnique. Bien que les autochtones de Taïwan font face à des difficultés économiques et sociales, certains relèvent la tête et font revivre leurs cultures, dont la musique et la gastronomie.
La tradition taiwanaise des plantes médicinales
Intégrées à la médecine chinoise traditionnelle, les plantes médicinales sont populaires à Taïwan. Les herboristeries abondent à Taipei, mêlant l’ancien et le moderne dans un foisonnement de bocaux odoriférants où les spécialistes puisent de quoi soulager leurs patients. L’université de médecine chinoise de Taichung forme des spécialistes qui y étudient aussi la médecine occidentale. Les aborigènes restent fidèles à leur médecine ancestrale. Ainsi les feuilles d’une euphorbe courante dans les lieux cultivés sont appliquées sur les blessures pour les cicatriser.
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