Dessiner pour comprendre le monde végétal
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Dans la première moitié du XVIe siècle, une petite révolution se produit dans le milieu botanique. Une recherche d'exactitude, de précision vise à caractériser les plantes provenant de l'héritage gréco-romain. C'est ainsi que naît l'illustration botanique comme un véritable outil d'identification.
À la fin de la période médiévale, les représentations des plantes sont très stylisées. On ne souhaite pas représenter la plante telle qu'elle est, mais plutôt un archétype. Dans l'Hortus sanitatis, herbier décrivant les plantes et leurs propriétés médicinales imprimées en 1491 à Mayence, les dessins sont très géométriques et en deux dimensions. Dans un souci de schématisation, on ne rend compte que d'une ou deux caractéristiques botaniques de la plante et il est très difficile de l'identifier.
De plus, on se méfie des images. Pline l'Ancien, déjà, se limitait à une description écrite, car pour lui, l'illustration était trompeuse et ne traduisait pas la transformation des plantes au fil des saisons. On considère souvent l'illustration comme simplement décorative. L'apothicaire et chirurgien Jérôme Brunschwig déclare que « les figures ne sont rien de plus qu'une réjouissance de l'œil, et une information pour ceux qui ne savent ni lire, ni écrire. » Au début du XVIe siècle, même les imprimeurs en font encore peu de cas. Il est très fréquent que l'image disposée en face de la plante ne corresponde pas à celle décrite ou bien qu'une illustration soit utilisée plusieurs fois dans un même ouvrage, dans un but purement ornemental.
Il faudra attendre 1530 pour que l'on se décide à représenter les plantes telles qu'elles sont. Il s'agit dorénavant de dessiner à partir de l'observation de spécimens naturels. Cette volonté de copier d'après nature se retrouve également dans le milieu artistique du XVIe siècle, et c'est d'ailleurs un des élèves du célèbre peintre Albrecht Durer (1471-1528) qui réalise les premières illustrations botaniques réalistes dans l'Herbarum vivae eicones. Cet ouvrage du médecin suisse Otto Brunfels revendique de par son titre (« icones de plantes vivantes »), la représentation réaliste de 135 plantes décrites d'après nature.
Précision et exhaustivité
Dans cette mouvance, le médecin botaniste Léonard Fuchs sera un des premiers à défendre l'usage des illustrations dans les publications, mû par une volonté de détermination botanique et de rigueur scientifique. Il prône un usage régulier de l'image et s'étonne que certaines personnes les condamnent alors qu'elles « communiquent des informations bien plus clairement que les mots, même du plus éloquent des hommes ». Son ouvrage est un grand succès. Il...
connaît 31 éditions de son vivant et sera traduit du latin en français en 1549 sous le titre Commentaires très excellens de l'hystoire des plantes. Ses planches fixent le modèle type de l'illustration botanique scientifique, elles seront d'ailleurs utilisées par les imprimeurs dans de nombreuses autres publications.
De telles illustrations de référence sont en effet la synthèse de l'observation de plusieurs spécimens de l'espèce. On s'attache à représenter et à détailler tous ses organes, de la racine à la feuille. Les plantes sont par ailleurs montrées à plusieurs étapes de leur développement et portent à la fois fleurs et fruits. Le respect des proportions, le travail sur les volumes et les ombres est novateur. La plante semble presque flotter sur la planche.
Toutefois, la précision s'arrête au trait. L'imprimerie du XVIe siècle ne permet pas un usage de la couleur. Seuls le noir et le rouge sont utilisés en xylographie (gravure sur bois). La finesse des traits de l'ouvrage de Léonard Fuchs laisse cependant envisager une volonté de coloriser les planches à la main dans un deuxième temps. Ce sera le cas pour quelques éditions qui seront destinées à des personnes fortunées, car l'usage de la couleur les rend encore plus onéreuses.
Une œuvre collective
Pour Léonard Fuchs, la représentation botanique est un travail exigeant et collectif. Trois artisans travaillent avec lui (de gauche à droite) : Heinrich Füllmaurer peint la plante d'après nature, Albrecht Mayer reporte le dessin sur bois et Veit Rudolf Speckle grave le bois utilisé pour l'impression. Reconnaissant l'importance de leur travail, Fuchs, fait rare pour l'époque, fait figurer leur portrait dans son ouvrage.
L'illustration, outil indispensable à la diffusion des savoirs
Le développement du dessin botanique à la fin du XVIe et durant tout le XVIIe siècle, va de pair avec une passion naturaliste grandissante en Europe. Les jardins botaniques et les herbiers se multiplient. L'illustration devient un outil indispensable à l'inventaire et à la diffusion de la connaissance des espèces que l'on recense en Europe, ainsi qu'à celles provenant des terres nouvellement découvertes. Certains illustrateurs se joindront même aux expéditions maritimes de botanistes afin de rendre compte de toutes les trouvailles.
Claude Aubriet part ainsi en Orient avec le botaniste Joseph Pitton de Tournefort afin de fixer en images les découvertes des flores. Entrepris sous les ordres de Louis XIV, ce voyage de deux années les mène de la Grèce à la Turquie et à la mer Noire, où Tournefort identifie 1 300 plantes rares inconnues en France. Dans l'ouvrage Relation d'un voyage en Orient, édité en 1718, plus de 100 dessins de Claude Aubriet illustrent les découvertes.
La botanique devient une science à part entière et les sociétés savantes et les académies de sciences se constituent (en 1603 en Italie, en 1666 en France). L'illustration botanique se perfectionne avec l'arrivée d'instruments d'optique qui permettent l'observation microscopique. Les illustrations deviennent de plus en plus précises et détaillées ; à la démarche d'inventaire s'ajoute la volonté de mieux comprendre le fonctionnement du monde végétal. En 1671, le médecin naturaliste italien Marcello Malpighi publie Anatomie des plantes, qui décrit avec précision la morphologie des végétaux, en détaillant la fleur avec étamines et pistil, les nervures foliaires ou les étapes de la germination des graines. Une première dans l'illustration botanique. Dans l'intention de mieux rendre les détails, la matière et le port des plantes, la technique évolue et on utilise, pour l'impression des images, la gravure sur cuivre. En 1694, l'ouvrage Éléments de botanique ou méthode pour connaître les plantes, de Tournefort, illustré par plus de mille dessins de Claude Aubriet, est représentatif de cette démarche.
Cette dynamique d'observations minutieuses, notamment des fleurs, préfigure le travail de classification et de nomenclature du monde végétal… que Carl Von Linné entamera en 1728. Et qui reste encore en grande partie valable aujourd'hui.
La collection des vélins du roi
Au sein de la noblesse, la mode de la botanique s'exprime sur un support spécifique : le vélin. Initiée par le duc Gaston d'Orléans au XVIIe siècle, la collection de vélins royaux sera poursuivie par Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Sur une peau d'agneau travaillée en parchemin, ce qui donnait un grain d'une blancheur sans égale, sont peintes les espèces végétales des jardins du roi. Nicolas Robert, Claude Aubriet puis Madeleine Françoise Basseporte s'illustrèrent particulièrement dans ces peintures à la gouache et à l'aquarelle d'une rare précision et fidélité au « modèle » naturel. Nicolas Robert réalisa à lui seul pas moins de 500 vélins consacrés à la botanique.