L'intendant et le bégonia
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Les noms des plantes ne sont pas toujours liés à un botaniste ou à un naturaliste émérite. Celui du genre bégonia amène à se pencher sur le rôle d'un commis de l'État qui prit part à toutes sortes d'affaires financières et maritimes au XVIIe siècle.
Les bégonias qui peuplent nos pots de fleurs appartiennent à l'un des plus vastes genres botaniques, Begonia, répandu dans les régions tropicales de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie. Connues surtout en Europe comme plantes ornementales, elles comprennent aussi, dans leurs régions d'origine, de nombreuses espèces à valeur alimentaire et médicinale, dont Begonia glabra, employée par les populations amérindiennes.
Ce genre végétal tire son nom de Michel Bégon (1638-1710), un grand serviteur de l'État. Issu d'une éminente famille de la noblesse de robe établie à Blois, il mena une brillante carrière, d'abord comme officier de marine, puis comme intendant, c'est-à-dire représentant du pouvoir royal, en France et aux colonies. Après avoir servi à Toulon, à Brest et au Havre, il passa deux ans (1682-1684) à Saint-Domingue, aujourd'hui Haïti, puis revint en métropole, à Marseille, avant d'obtenir l'intendance du port de Rochefort, qu'il développa considérablement...
, et de la généralité de La Rochelle. Personnalité éclairée, amateur et collectionneur d'objets d'art et d'histoire naturelle, il prit sous sa protection de talentueux naturalistes, parmi lesquels un jeune ecclésiastique, Charles Plumier, lui-même lié à Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708), professeur au Jardin du Roi.
Aussi, lorsque Bégon fut chargé d'organiser une expédition scientifique dans les Antilles françaises, il pensa à recruter Plumier. Celui-ci s'embarqua en 1687 pour l'Amérique, d'où il rapporta une documentation considérable sur la flore et la faune locales (descriptions, dessins, échantillons), qu'il publia partiellement mais dont une grande partie, restée inédite, allait être abondamment exploitée par les naturalistes ultérieurs. Ses travaux ayant donné satisfaction, Michel Bégon effectua deux autres voyages aux Antilles entre 1689 et 1695. Chargé en 1704 d'une nouvelle expédition au Pérou pour y étudier le quinquina, il mourut au cours du voyage.
C'est Plumier qui établit l'usage d'honorer des personnages en donnant leur nom à des plantes. Il remercia donc son protecteur en nommant Begonia une espèce qu'il avait décrite en Amérique. Notons que d'autres auteurs européens, comme Francisco Hernández, avaient observé des bégonias dès le XVIe siècle et les avaient nommés autrement. Mais Tournefort retint dès 1700 le nom proposé par Plumier, et son exemple fut suivi par les botanistes ultérieurs, en particulier Carl von Linné, qui l'employa dans le Species plantarum, lui donnant ainsi une valeur officielle dans la nomenclature binomiale.