Initiatives citoyennes contre le réchauffement climatique
En marge de la COP21, des initiatives citoyennes ont vu le jour pour lutter contre le réchauffement climatique. Pendant cinq semaines, dans un château des Yvelines, la POC21 a ainsi rassemblé des centaines de personnes pour réfléchir et donner vie à des projets durables et responsables. Avec, comme leitmotivs, l’open source, le progrès participatif et... numérique ! Zoom sur ces nouveaux paradigmes.
Un parc bucolique dans un château, non loin de Paris. Des salles de travail improvisées sous des tentes décorées de tentures anciennes, une écurie transformée en atelier menuiserie ou mécanique, et une bonne centaine d’éco-hackers (ou éco-informaticiens) à la tâche sur des ordinateurs, des imprimantes numériques, des scies électriques, des panneaux solaires, des fraiseuses lasers ou des toilettes sèches... Ici, on parle français, mais surtout anglais, mâtiné d’accents exotiques : allemand, portugais, espagnol, grec... Huit à dix heures de boulot par jour et un joyeux chantier organisé de façon écolo... À l’issue de cinq semaines intensives, un objectif affiché : contribuer autrement aux enjeux de la COP21. Avec comme idée que, si des engagements étatiques sont indispensables pour changer de paradigmes et prendre soin de la planète, chacun doit aussi prendre ses responsabilités, à son échelle.
Cette initiative citoyenne, qui s’est tenue de mi-août à mi-septembre dans un château des Yvelines, a pris le nom de POC21. Un clin d’œil plus qu’évident à la COP21, pour la proximité du nom bien sûr, mais aussi pour ce qu’il évoque: POC, qui signifie «Proof Of Concept », fait référence en science à la seconde étape d’élaboration d’un prototype. C’est ainsi qu’autour de l’agriculture urbaine, de la cuisine écolo, de tracteur à pédales ou d’éoliennes bidouillées, de nouveaux concepts tangibles, des «preuves de faisabilité» – au nombre de douze -, ont été élaborés. Reste que l’initiative pouvait intriguer. De l’innovation tous azimuts : preuve que les temps changent, on croisait plus souvent des concepteurs informatiques, des designers ou des geeks que des climatologues, des agriculteurs ou des botanistes. Et bien plus de tablettes que d’arrosoirs...
Des licences libres accessibles à tous
«Les discours de la COP21 sont peu attractifs pour le grand public. Or une nouvelle révolution postindustrielle est en route, et l’économie participative en est la clé. On a voulu rapprocher des publics qui ne se croisent pas encore assez. Sur deux cents propositions, on a retenu douze dossiers selon trois critères : la protection de l’environnement, des projets pilotes déjà avancés a n de pouvoir montrer des prototypes au public en fin de rassemblement, et surtout, une volonté d’évoluer ensemble, et non de travailler dans son petit coin », résume Benjamin Tincq, un des fondateurs de OuiShare, l’une des deux principales instances organisatrices de la POC21 avec l’organisation allemande Open State.
De fait, ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie participative était au cœur du chantier. Un nouveau paradigme dans lequel l’open source et les fablabs (ateliers communautaires) sont aussi des mots-clés. D’un côté, les outils numériques (plans, chiers, tutoriels) partagés sous licence libre et accessible au plus grand nombre ; de l’autre, des lieux de travail mutualisé où l’imprimante 3D est souvent reine, autant que la bidouille et l’ingéniosité des « makeurs » (ceux qui font). In fine, une incitation à changer de regard et à se lancer afin, par exemple, d’apprendre à conserver des aliments au frais sans avoir besoin d’un frigidaire, de mieux se nourrir en ville, de se doucher malin ou de labourer de petites surfaces bio.
Revaloriser les...
savoir-faire manuels
Face aux énormes enjeux climatiques qui sont les nôtres, ces initiatives peuvent paraître quelque peu anecdotiques, direz-vous. Pas si sûr, réplique Benjamin Tincq. « Souvenons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, on nous disait qu’internet ne marcherait pas, ou qu’on ne pourrait créer une encyclopédie nouvelle, accessible à tous, comme l’est pourtant Wikipedia aujourd’hui. Le monde doit vraiment changer sa production ou sa consommation, sous peine d’aller dans le mur. Internet lui offre des pistes inouïes. »
Il est vrai que l’échange et le transfert d’informations à distance, via des imprimantes 3D notamment, offrent de vraies perspectives d’impact sur l’environnement. Le transfert de données, lui, coûte peu en carbone. « On limite ainsi le pillage des ressources de pays souvent pauvres, ou très pollueurs comme la Chine. On fabrique chez soi, on limite les coûts du transport et on réapprend à gérer ou à recycler ses déchets », ajoute ce fervent admirateur de la ville de Barcelone, qui a fait de l’économie participative la pierre angulaire de sa politique. À l’horizon 2040, la capitale catalane entend être autonome à 100% en énergie et à 50% en production agricole et industrielle, grâce à la mise en place de fablabs dans chacun de ses quartiers.
Autre objectif avancé, la fin de l’obsolescence programmée. « Des plans et des données offerts en toute transparence, c’est une chance de moins gaspiller. On se soutient pour apprendre à réparer ou à faire évoluer », avance l’entrepreneur, qui espère que les politiques prendront la mesure des nouveaux besoins « en revalorisant à l’école les savoir-faire manuels». Et qui rêve avec ses associés d’une « société dans laquelle le partage des savoirs sera plus performant que la propriété intellectuelle seule».
Viabilité économique en question
Reste à savoir si le modèle économique du tout open est viable. Une question légitime à laquelle chacun apporte sa réponse en fonction du paradigme qu’il a choisi de suivre. Ainsi les responsables de Farming Soul, créateurs du Bicitractor, un mini-tracteur pour exploitation bio, proposent des formations. « On pourra gagner un peu [d’argent]. Mais notre ambition, c’est le retour à l’autonomie et la fin des diktats de l’industrie agricole. Se réunir et échanger est crucial», avance l’un de ses membres. D’autres, comme les designers de Biceps Cultivatus qui ont planché sur la conception d’une cuisine en bois naturel en créant des systèmes vertueux de conservation et de transformation, espèrent que les grands fabricants viendront les solliciter. Les autres participants comptent pour la plupart sur un autre pilier de l’économie participative, le crowdfunding (contribution du grand public) pour financer des projets plus sophistiqués ou à plus grande échelle. « Open ne veut pas forcément dire gratuit. L’essentiel est d’être créatif et de créer d’autres réflexes ou d’autres demandes », précise Benjamin Tincq.
Si ces initiatives doivent encore évoluer, et aussi modestes soient-elles comparées au défi à relever, la motivation reste de rigueur chez ces entrepreneurs. Peut-être ont-ils en mémoire une citation d’Anita Roddick, fondatrice de Body Shop : « Si vous croyez que vous êtes trop petit pour changer le monde, c’est que vous n’avez jamais passé une nuit avec un moustique ! »
12 éco-idées en « open source »
Prouver la faisabilité de ses idées novatrices, partager ses trouvailles, faire participer toutes les bonnes volontés ou les simples curieux... Tels ont été les objectifs de la POC21 qui s’est tenue pendant cinq semaines dans les Yvelines. Avec un postulat : tout doit être en open source ! En clair, les plans et l’origine des douze projets proposés par une centaine d’éco-informaticiens sont accessibles à tous ceux qui souhaitent les développer à petite ou grande échelle. Une nouvelle façon de concevoir le progrès, par le biais du partage ...
Écolo derrière les fourneaux
Avec Biceps Cultivatus, on découvre comment être vertueux et écolo dans sa cuisine. Conservation des aliments et mixeur sans électricité ou engrais à base de déchets pour plantes aromatiques, qui fonctionnent comme les machines à coudre de nos grands-mères, font partie des ingrédients de cette cuisine postindustrielle. (www.collectifbam.fr)
Créer sa ferme urbaine en ligne
Le réseau AKER, qui avait commencé sa carrière aux États-Unis en tentant de préserver les abeilles, s’est mis à amalgamer plans pour fermes urbaines et technologie assistée. Ni vis ni colle, mais de la technologie light pour des mini potagers en étage, des ruches, voire des poulaillers urbains pour terrasse. Les kits, emboîtables comme des Lego, sont en open source. Une imprimante 4D dans une fablab, et le tour est joué ! (www.makery.info)
Mini tracteur pour petite surface bio
Le Bicitractor est un mini tracteur écolo à pédales, adapté aux petites surfaces et autres exploitations. Il peut labourer, sarcler ou forer sans traumatiser la terre ou tasser la terre, ni faire mal au dos, et permet un désherbage plus rapide qu’à la main. Un modèle assisté électrique a aussi été créé. Même s’il semble que les usagers préfèrent le pédalage... (collectif Farmingsoul sur Facebook et www.latelierpaysan.org)
Aquaponie et permaculture connectées
En combinant permaculture et aquaponie (avec suffisamment de poissons pour que vous puissiez en manger parfois), les créatifs du projet Ownfood estiment que chacun peut vraiment commencer à penser autonomie alimentaire pour sa famille. Ils proposent une serre à assembler soi-même, laquelle est semi automatisée grâce à des connexions avec le mobile. Le réglage de la chaleur, de l’humidité ou des niveaux d’eau est donc assisté, ce qui simplifie sérieusement le travail. Plantez, écoutez, laissez pousser et dégustez ! (www.ownfood.org)
La Ruche qui dit oui : certains disent non !
Covoiturage, co-housing, échange de talents... Le Net n’en finit plus de favoriser l’économie participative. Coté alimentation, la rencontre entre les fans de technologie et les défenseurs de la nature a trouvé une nouvelle niche du côté de La Ruche qui dit oui. Le principe est simple : acheter en ligne à partir d’une liste de producteurs mis en réseau, se rendre au jour J dans un lieu dédié, le plus souvent provisoire, et permettre la rencontre entre producteurs et consommateurs. La start-up a grandi vite : de quatre salariés il y a quatre ans, elle est passée à 50 ! Une belle initiative mais qui soulève un certain nombre de questions. Des commissions sont prises au passage par le site et par les ruches. Du coup, les producteurs doivent baisser leurs prix pour financer des intermédiaires. Par ailleurs, la ruche offre toutes sortes de produits, pas forcément alimentaires, qui peuvent venir de l’agriculture raisonnée, voire non bio. Enfin, de gros actionnaires se cachent derrière la start-up, dont le patron de l’opérateur téléphonique Free. Pour ses détracteurs, ce concept préfigure en fait le nouvel e-commerce du XXIe siècle, « sans changer les mêmes pratiques capitalistiques du marché ».