Trop de phytœstrogènes dans le soja ?
Steak, lait, faux-fromage, saucisses, farce, crème végétale, desserts, biscuits, graines apéritives, couscous… Tous ces aliments se déclinent désormais en version soja. Cette abondance pourrait-elle mettre à mal le principe de précaution consistant à ne pas dépasser une certaine quantité de phytœstrogènes dans son alimentation ? L’alerte lancée par le magazine Que Choisir mérite qu’on lui apporte quelques bémols.
Végétarien ou flexitarien, nous sommes de plus en plus nombreux à consommer des produits au soja pour remplacer la viande, étant donné la remarquable qualité de ses protéines. Or, on le sait, le soja renferme aussi des isoflavones : ces phytœstrogènes agissent sur notre système hormonal. Mais ces composants pourraient-ils avoir un effet comme les perturbateurs endocriniens ?
C’est ce que soupçonne le magazine Que Choisir qui a effectué des recherches sur les dosages en phytœstrogènes de 55 produits de consommation courantes au soja. Résultats de ces tests : 14 de ces produits sont surdosés en phytœstrogènes s’ils sont consommés par un adulte, et 23 s’il s’agit d’un enfant. Dit autrement, ces produits dépassent le seuil de référence pour la consommation de phytœstrogènes tel qu’il a été établi il y a 14 ans par l’Anses qui veut que l’on ne dépasse pas 1 mg/kg de poids par jour, soit 60 mg par jour si on pèse 60 kg. Un seuil que le magazine Que Choisir préconise d’abaisser en se rapportant à de récentes études effectuées sur les animaux.
Les isoflavones, des perturbateurs ?
Faut-il s’inquiéter des résultats de ces tests ? Une méta-analyse publiée en 2018 dans la revue Nutrients fournit une bonne vision d’ensemble. Les chercheurs Gianluca Rizzo et Luciani Baroni ont passé en revue 556 études scientifiques, visant à évaluer le rôle du soja et des aliments au soja dans la diète végétarienne.
Dans cette méta-analyse, il est rappelé que les Japonais considérés comme les plus gros consommateurs réguliers de soja absorbent 54 mg par jour de phytœstrogènes et que la consommation moyenne européenne est de… 3 mg, les pays du Nord étant plus attirés par le soja que ceux du Sud. En Europe, pour ce qui est des populations végétariennes et végétaliennes, leur consommation peut atteindre 30 mg de phytœstrogènes.
Le magazine Que choisir considère que ces substances pourraient être des perturbateurs endocriniens. Ce n’est pas l’avis de ces chercheurs. Si les isoflavones ont la capacité d’interagir avec les récepteurs d’œstrogènes en raison de leur similarité structurelle avec les hormones naturelles féminines (l’estradiol), les isoflavones se comporteraient plutôt comme des modulateurs. Ils ne viendraient donc pas s’ajouter à nos hormones endogènes mais réguleraient leur expression. Ce qui change tout.
Les chercheurs mettent aussi en avant que les isoflavones modulent la prolifération cellulaire. Ce qui expliquerait en partie leurs effets bénéfiques chez les malades souffrant de cancers y compris de cancers hormonaux-dépendants (cancer du sein, cancer de l’ovaire, cancer de l’endomètre et même cancer de la prostate). Plusieurs études viennent ainsi contredire les craintes qui avaient été observées chez le modèle animal et qui ont incité de nombreux services en oncologie à supprimer les aliments au soja pour les malades.
Plusieurs bénéfices des isoflavones
Les chercheurs italiens ont ensuite passé en revue les autres bénéfices et les effets néfastes de ces phytœstrogènes. Hypocholestérolémiant, la consommation d’isoflavones modère les risques de maladies cardio-vasculaires. Les isoflavones sont aussi associées à une augmentation de la teneur en calcium des os chez les femmes ménopausées, prévenant ainsi l’ostéoporose. D’autres données suggèrent que les produits au soja enrichissent la flore intestinale et qu’ils améliorent le statut pondéral des obèses.
D’un autre côté, on s’abstiendra de trop consommer de produits au soja si on souhaite être enceinte car une grosse consommation d’isoflavones (au-delà de 40 mg) fait baisser la fertilité. Par mesure de précaution, on évitera aussi d’en manger en attendant un bébé.
Enfin, concernant l’impact supposé des aliments au soja sur les hormones thyroïdiennes, les recherches misent en avant par la méta-analyse concluent au classique manque d’iode pour expliquer l’apparition de goitre chez des végétariens américains.
Quel soja consommer
Pour autant, la liste de ces bénéfices ne doit pas nous inciter à augmenter notre consommation de soja. Actuellement, la recommandation maximale fixée par les spécialistes est d’ailleurs d’un aliment au soja par jour. Pas plus. D’autant que l’on constate une grande disparité de dosage des phytœstrogènes dans les produits alimentaires. Si l’huile de soja ne présente aucun isoflavone, les fèves de soja que l’on mange à l’apéritif culminent à 150 mg d’isoflavones pour 100 g, soit presque 3 fois la dose quotidienne maximum (lire aussi ci-dessous). Fraîches ou grillées, les graines de soja en sont ainsi naturellement et fortement concentrées. Les boissons sont bien plus pauvres en phytœstrogènes. Cependant, le dosage dépend aussi de la façon dont ces aliments sont fabriqués, puis cuisinés. Ainsi, sa friture fait perdre au tempeh jusqu’à 40 % de son taux en isoflavones. Et le tofu voit sa concentration augmenter quand le temps de sa fermentation diminue. Un process de fabrication raccourci qui est d’ailleurs de plus en plus employé. Un étiquetage précisant le dosage en isoflavones des aliments serait donc le bienvenu. Les deux chercheurs et Que Choisir, qui a saisi l’Anses, le réclament. Il est vrai que cela pourrait être un vrai plus pour les consom’acteurs. Qu’ils soient végétariens ou pas !
Selon les produits, la concentration en phytœstrogènes peut-être très différente. Voici quelques exemples :
Fèves de soja grillées |
148,5 mg par 100 g |
Graines de soja crues | 154,53 mg par 100 g |
Lait de soja | 0,7 à10,73 mg par 100 g |
Tempeh | 3,82 mg par 100 g |
Tofu | 13,1 à 34,78 mg par 100 g |
L’huile de soja | 0 mg par 100 g |
Sources :