Colloque de la Biovallée : où en est-on de la reconnaissance de l’herboristerie ?
En 2018, le sénateur Joël Labbé ouvrait une porte vers la reconnaissance du métier d’herboriste en France en lançant une mission d'information parlementaire. Où en est-on de ces propositions quatre ans plus tard ? Le colloque des plantes à parfum aromatiques et médicinales (PPAM) qui s’est tenu du 10 au 12 mars à Eurre, dans la Drôme, a été l'occasion de faire le point sur l'avancement du dossier : une proposition de loi pourrait être présentée au Sénat en 2023, tandis que d’autres aspects de la réglementation des plantes médicinales seraient prochainement assouplis.
Plus de 200 professionnels de la filière des plantes à parfum, aromatiques et médicinales se sont retrouvés au colloque organisé par l’association Biovallée sur le thème « Phytothérapie et aromathérapie en santé humaine et animale ». La journée de jeudi, plus particulièrement dédiée à l’herboristerie, a permis d’échanger sur les évolutions de la situation depuis que le sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé a lancé la mission d’information parlementaire sur le développement de l’herboristerie en France et qu’un rapport avec 39 recommandations a été adopté à l’unanimité en septembre 2018. Fanny Duperray, porte-parole du sénateur, a donc dévoilé les suites de cette mission et les avancées menées depuis quatre ans.
Une proposition de loi sur le métier d’herboriste
Parmi les nombreuses questions soulevées par l’usage des plantes médicinales, la réhabilitation du métier d’herboriste est la moins consensuelle, comme l’ont prouvé les auditions de la mission d’information. « L’Ordre des médecins et l’Ordre des pharmaciens y sont vraiment opposés », a rappelé Fanny Duperray. Leur audition, jugée caricaturale, a beaucoup marqué. « Nous nous demandions si nous étions sur la même planète », témoigne Bernard Buis, sénateur de la Drôme pour La République en marche (LREM). « La plupart des plantes médicinales sont vendues hors des pharmacies, donc il y a un vrai besoin de conseil, constate Fanny Duperray, le statu quo n’est pas satisfaisant ».
Alors, à quand une loi pour faire reconnaître le métier d’herboriste ? La porte-parole a annoncé que Joël Labbé entend la proposer en 2023 au Sénat. Dans ce texte, le sénateur prévoit deux statuts : l’un pour les paysans-herboristes et l’autre pour les herboristes de comptoir. Le texte devra convaincre une majorité de sénateurs pour passer à l’Assemblée nationale. Le défi est « d’écrire un texte le plus consensuel possible tout en étant ambitieux », explique Fanny Duperray. « Cette proposition de loi devra s’accompagner de fortes mobilisations de la société civile à tous les niveaux. Pétitions, interpellations des élus ou encore articles de presse : toutes ces actions ont un impact. Nous aurons tous un rôle à jouer », ajoute-t-elle.
Ce texte se focalisera sur le statut des herboristes, mais qu’en est-il des autres recommandations émises par les sénateurs ? Si changer la loi demande de la patience, beaucoup de recommandations ne relèvent pas du domaine législatif. Par exemple, le financement de la recherche sur les plantes dépend du ministère de la Recherche, tandis que la liste des plantes libres dépend des agences réglementaires. Deux groupes de travail, mis en place par Joël Labbé depuis la mission parlementaire, ont pu présenter leurs avancées.
Libérer 250 plantes médicinales
En France, seules 148 plantes peuvent être vendues en tisane hors des pharmacies, ce qui exclut de nombreuses espèces pourtant très communes. « Actuellement, nous n’avons pas le droit de vendre du souci, du plantain ou de la racine de pissenlit », regrette Catherine Segretain, paysanne-herboriste. Son groupe de travail a donc constitué une liste d’une centaine de plantes supplémentaires qui pourraient être libérées du monopole pharmaceutique. Il a sélectionné des espèces qui s’emploient sans danger, qui sont déjà autorisées comme compléments alimentaires (à l’exception du bleuet) et dont la ressource n’est pas menacée. Le groupe vient de déposer la liste à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour étude.
Les paysans-herboristes ont également avancé dans la reconnaissance de leur métier. Coordonnés par la Fédération des paysans-herboristes, ils souhaitent en effet la mise en place d’une formation adaptée à leur activité, qui demande des connaissances autant en agriculture qu’en herboristerie. Après un an et demi de travail avec FranceAgriMer, l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, les compétences nécessaires ont été explicitées et couvrent un large spectre de savoir-faire : cultiver les plantes médicinales, les cueillir, les transformer et les conseiller aux clients, tout en maîtrisant la réglementation. Le référentiel métier est désormais prêt, il sera déposé en avril à France compétences pour obtenir un titre reconnu par l’État. Les premières formations devraient commencer l’hiver prochain.
Par ailleurs, un travail permettant de se mettre d’accord sur les allégations de santé a été mené, et c’est à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) de se prononcer désormais.
Les bons mots pour les allégations de santé
Les herboristes peuvent vendre un sachet de thym, mais ne peuvent pas dire qu’il est bon contre la toux par exemple. Cette réglementation les bloque pour conseiller et informer pleinement leurs clients sur les plantes qu’ils achètent. « C’est un véritable frein à la vente directe », témoigne Audrey Benavent, paysanne-herboriste. Les « allégations thérapeutiques » étant interdites, seules certaines « allégations de santé » sont autorisées, comme dire qu’une plante « contribue au bien-être ». Depuis 2008, on attend que la Commission européenne se prononce sur plus de 4 000 allégations de santé qui lui ont été envoyées.
Face à ce blocage, un groupe de travail de paysans-herboristes a traduit et trié les allégations relatives à 250 plantes pendant que l’administration française prenait également le sujet en main de son côté. Associés avec SYNADIET, le Syndicat national des compléments alimentaires, et Stepi, le syndicat du thé et des plantes à infusion, ils ont fait des propositions pour que l’administration les autorise à employer certains termes. Si le mot « toux » est jugé trop thérapeutique, il sera possible de parler de « maux de gorge » ou d’« irritations de la gorge ». Le mot « douleur » va aussi être autorisé, mais seulement pour les douleurs menstruelles, les autres formes de douleurs restant interdites. La DGCCRF doit publier prochainement la base de données qui liste l’ensemble des allégations désormais autorisées et clarifier enfin ce subtil jeu sémantique.
Si l’évolution de la loi et de la réglementation prend du temps, le colloque a montré comment la mission parlementaire sur l’herboristerie a bien créé une dynamique. « Malgré les divergences de points de vue, on se rend compte que ce qui nous anime, c’est notre passion pour les plantes, constate Catherine Segretain. Il y a quand même un consensus sur le fait que la situation doit bouger ». « Le grand intérêt de cette mission a été d’échanger avec tous les acteurs de la filière », note Sabrina Boutefnouchet, pharmacienne et professeure à Paris-Descartes. Ces échanges se traduisent déjà concrètement : depuis septembre 2020, l’université de Paris a lancé une licence professionnelle de conseiller en herboristerie et en produits de santé. « La société évolue et nous allons la faire évoluer tous ensemble », assure-t-elle.