Produire plus et mieux nos légumes
On importe aujourd'hui une bonne partie de nos légumes et la production française décline depuis vingt ans. Pourquoi une telle perte de vitesse ? Comment relancer le maraîchage et retrouver davantage d'autonomie alimentaire ? Et si cette crise était l'opportunité de basculer vers un mode de production de légumes moins industriel et plus résilient ?
La France n’arrive plus à produire assez de légumes et en importe 40 % pour nourrir sa population, s’alarment de concert l’État et l’ensemble des acteurs de ce marché. Les récoltes d’artichauts, choux-fleurs, tomates, endives et salades baissent et la dernière campagne de carottes n’est pas bonne. De fait, la production nationale couvre seulement 61 % de nos besoins. En l’espace de vingt ans, nous avons reculé de 18 % sur notre autonomie en légumes.
Retrouver davantage de souveraineté alimentaire, c’est donc l’objectif du plan de soutien de la filière – les fruits sont aussi concernés, car on en importe 60 % – de 200 millions d’euros annoncé début mars par le ministre de l’Agriculture. Un quart de ce budget doit bénéficier au maraîchage, notamment pour mieux équiper les producteurs face aux aléas climatiques (lire encadré), chercher des variétés plus résistantes et des alternatives naturelles aux pesticides. Certes, le ministère se mobilise mais les mesures proposées répondent-elles aux difficultés de la filière maraîchage ?
Si Interfel, l’interprofession des fruits et légumes, salue un plan qui, dit-elle, devrait permettre de regagner du terrain sur les importations, d’autres acteurs se montrent beaucoup plus critiques. Pour Vincent Delmas, secrétaire national de la Confédération paysanne, impossible d’augmenter la production si on ne change pas d’abord les règles du marché : « Ce plan rate complètement sa cible car il ne s’attaque pas à la concurrence déloyale étrangère. Nous devons protéger notre marché, aujourd’hui grand ouvert, avec un prix minimum d’entrée pour les fruits et légumes importés ». Une opinion partagée par la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), qui demande également plus de protectionnisme. Car si on importe 40 % de légumes dont 19 % en bio, c’est aussi parce que les prix espagnols ou italiens sont très compétitifs du fait d’une main-d’œuvre précaire payée à moindre coût. Pour la Confédération paysanne, la grande distribution en profite pour tirer les prix vers le bas, prenant parfois « deux tiers de nos marges », dénonce Vincent Delmas. Les maraîchers peuvent alors se retrouver obligés de brader leur production, voire « font le choix douloureux de ne pas récolter pour économiser de la main-d’œuvre et éviter la vente à perte », décrypte un expert du secteur.
Des freins à l’installation
Pourtant, impossible de se passer de main-d’œuvre en maraîchage en conventionnel, et plus encore en bio. Le travail manuel y est omniprésent pour semer, cultiver et récolter, des activités très chronophages et physiquement exigeantes. Entre les prix de vente bas et les coûts d’exploitation lourds, le métier s’avère peu rémunérateur, avec 13 000 euros de revenu annuel en moyenne pour un maraîcher. Pas étonnant alors que l’on ait perdu en vingt ans 4 % d’exploitants et 10 % de surfaces de cultures de légumes. Quant aux candidats à l’installation, ils ont besoin d’un terrain et d’eau. Or, ils doivent franchir bien des barrières pour acquérir des terres à prix d’or – 70 % de hausse depuis 2000 – et négocier âprement un partage de l’eau avec les agriculteurs déjà en place, souvent peu coopératifs.
Compte tenu de tous ces facteurs, on peut se demander si le maraîchage conventionnel est suffisamment armé pour subvenir aux besoins du marché. La culture sur de grandes surfaces en monocultures légumières, une stratégie classique autrefois rentable, rencontre de plus en plus de limites financières et climatiques, avec la multiplication des épisodes de gel et de sécheresse. Les récoltes sont plus aléatoires, avec un risque de pénurie, comme l’été dernier avec les pommes de terre et les artichauts. « Cette hyperspécialisation nécessite, pour être rentable, d’investir dans des machines perfectionnées très coûteuses, telles que des sableuses pour la mâche. Il suffit d’un effondrement du cours de la mâche ou d’une mauvaise récolte pour mettre en difficulté l’exploitation », explique Xavier Mathias, formateur en maraîchage bio. Il pointe aussi l’écueil de la sélection des semences conventionnelles, en majorité des variétés modernes plus jolies d’aspect mais souvent moins goûteuses et moins résistantes aux aléas climatiques. Tel le maïs actuel hybridé, très gourmand en eau, alors qu’à l’origine il poussait en terre semi-aride d’Arizona. Si on y ajoute l’inflation du prix des engrais, des pesticides, de l’énergie et leur impact sur l’environnement, on s’interroge sur la nécessité de continuer à soutenir un tel modèle.
Dynamisme des maraîchers bio
Pour gagner en souveraineté alimentaire, il est sans doute nécessaire de faire évoluer le mode de production. La Cour des comptes ne s’y est pas trompée en qualifiant l’an dernier l’agriculture bio de « levier d’autonomie » et de facteur « de résilience face aux changements climatiques ». Encore faut-il qu’elle bénéficie d’aides à la hauteur. Le Plan bio, lancé récemment, aurait pu dynamiser la filière, mais son faible montant de dix millions d’euros « montre tout le mépris qu’on a pour nous », critique la FNAB. Malgré ce manque de soutien, les maraîchers bio se montrent dynamiques avec une hausse des surfaces de culture et une augmentation de 12 % en un an du nombre d’exploitations bio et en conversion. Ils se démarquent du modèle conventionnel en s’installant sur des surfaces plus petites et beaucoup plus diversifiées. « Ils ont moins de frais, car ils cultivent sur des parcelles de 1 à 5 hectares sans grosse machine. Le fait de diversifier offre plus de mobilité dans le choix des variétés : on peut tester de nouveaux légumes comme les patates douces, qui poussent très bien », souligne Xavier Mathias. Du côté du rendement à l’hectare, le bio doit encore progresser s’il veut vraiment monter en puissance, mais certains petits producteurs montrent l’exemple.
À la ferme des Rufaux en Normandie, Édouard Stalin et Louise Deffontaines produisent un très grand éventail de variétés anciennes et rustiques sur un petit hectare dédié aux légumes, avec un bon rendement : « Nous avons planté un verger maraîcher afin que nos légumes profitent de l’ombre et de l’évapotranspiration des arbres. Le sol est nourri avec du compost et paillé pour garder un maximum d’humidité. Cultiver une grande variété nous demande davantage de connaissances et de main-d’œuvre, mais ça protège plus des aléas du climat ». Leur ferme avoisine les 50 % de rentabilité grâce à la vente directe où ils fixent leurs prix et à leurs faibles charges. Reste que la majorité des maraîchers bio souffrent encore de la crise d’achat du bio et doivent être soutenus « par une meilleure communication publique sur ce qu’apporte le bio pour relancer la consommation et conforter leur viabilité économique, sinon ils risquent de décrocher », insiste Philippe Camburet, président de la FNAB. Les légumes bio, plus chers à la vente, se heurtent en effet à la concurrence du local, mais aussi de l’Europe, où le maraîchage bio sous serre chauffée est permis, inondant notre marché de tomates et courgettes à bas prix en plein hiver. En France, ce n’est plus autorisé entre décembre et avril, pour renouer avec les saisons et la sobriété énergétique.
Concilier environnement et rendement, c’est toute l’équation complexe à trouver pour relancer le maraîchage en France et espérer nourrir notre population. Le modèle bio, encore très perfectible, offre des solutions inspirantes pour retisser un réseau de maraîchers nourriciers et respectueux de la nature. À condition qu’il soit soutenu et qu’il maintienne des prix justes et accessibles.
Un plan de soutien en demi-teinte
Voici les principaux aspects du Plan pluriannuel de souveraineté pour la filière fruits et légumes, annoncé le 1er mars dernier, et les questions qu’il soulève.
- Une enveloppe de 200 millions d’euros dès 2023, sachant que le plan est prévu pour durer jusqu’en 2030 mais sans réel objectif chiffré pour réduire notre dépendance aux importations, et sans inclure la filière bio.
- Le financement d’équipements de résilience climatique (serres froides, filets antiravageurs, robots désherbeurs…) : il s’agit d’investissements coûteux, loin des préoccupations des maraîchers, qui ont surtout besoin de maintenir leurs revenus fragilisés.
- Un budget pour la recherche et l’adaptation des cultures au climat : un point positif seulement si les agronomes sélectionnent des variétés anciennes et rustiques, plus résistantes aux aléas climatiques que les variétés modernes.
Circuit court
Recherche maraîcher pour besoins locaux
Créer sa propre régie de maraîchage bio, voici l’initiative de la ville de Vannes. En 2019, la commune a recruté un maraîcher, récupéré un hectare en friche et deux serres sur un site municipal. Objectif : produire assez de fruits et légumes pour les repas et goûters des enfants des crèches. Deux ans après, plus de 4 tonnes de légumes (96 variétés), fruits et aromates étaient récoltées, couvrant selon la saison de 60 à 90 % des besoins des enfants en légumes. Vannes s’est inspirée de la ville pionnière de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), qui cultive bio pour ses écoles depuis douze ans. Auray, Quimper et Noirmoutier y pensent aussi. Un moyen d’atteindre peut-être un jour les 20 % de bio en restauration collective, objectif fixé par la loi Egalim depuis 2022.
Un maraîchage au plus près de la nature
Dans leur ferme de Bouquetot en Normandie, Édouard Stalin et Louise Deffontaines cultivent une gamme étendue de légumes sur une surface d’un hectare : oignons, tomates, fenouils, artichauts, carottes, betteraves, échalotes, blettes, asperges, navets, poireaux, aubergines, poivrons, panais, brocolis, sans compter les petits fruits et les pommes. Petit-fils et fille d’agriculteurs, ils ont opté pour un maraîchage biologique en s’inspirant de l’agroforesterie avec la plantation de haies brise-vent et d’arbres autour des cultures pour recréer tout un écosystème. Une manière naturelle de lutter contre les ravageurs en attirant de petits insectes prédateurs et des oiseaux. Ils achètent et font des semis avec des semences paysannes en privilégiant des variétés anciennes et rares, dont 52 variétés de tomates. Depuis quelques années, ils pratiquent eux-mêmes leur sélection variétale de tomates en observant lesquelles s’adaptent le mieux à leur sol limoneux : « C’est un travail de longue haleine qui demande beaucoup de temps et de connaissances afin de déterminer quelles tomates s’acclimatent le mieux, mais cela nous permettra de produire nos propres graines et de pérenniser nos cultures. »