Plantes et Santé Le magazine de la santé par les plantes

Végétaux psychotropes, leur vrai pouvoir sur notre cerveau (2/5)

Cannabis, ayahuasca, champignons hallucinogènes… Les plantes psychoactives sont utilisées  depuis la nuit des temps pour soigner ou atteindre des états de conscience modifiés. Elles font l'objet d'un regain d'intérêt dans un cadre thérapeutique, alors que dépression et maladies neurodégénératives progressent dans nos sociétés. Quel est leur réel potentiel pour soigner notre cerveau ?

Plantes psychotropes : connues par les chamanes

Plantes psychotropes : connues par les chamanes

Les chamanes, les hommes-médecine des sociétés traditionnelles, se connectent au monde invisible avec des tambours, des chants et, pour certains d’entre eux, des plantes. Ces plantes, que nous appelons psychédéliques et hallucinogènes en Occident, sont visionnaires et sacrées pour ces communautés. En Amazonie, on parle surtout d’ayahuasca et de tabac. Dans les Andes péruviennes, il s’agit du cactus San Pedro, et du peyotl au Mexique, alors qu’en Afrique centrale on utilise surtout la racine d’iboga. Le chamane entre dans le monde de la plante en l’ingérant et son effet psychoactif lui donne des visions et des rêves. Il peut alors dialoguer avec « l’esprit de la plante » pour comprendre ce dont souffre son patient, raconte l’anthropologue Jeremy Narby dans Deux plantes enseignantes, l’ayahuasca et le tabac, coécrit avec le chamane amazonien Rafael Chanchari Pizuri. Dans ces médecines traditionnelles, on considère que les maladies sont causées par un déséquilibre au niveau de l’âme, qui peut se perdre, être volée, métamorphosée… ou par le fait d’être envahi ou infesté par un élément étranger (physiquement autant que symboliquement).

 

Brugmansia suaveolens, une plante curative et divinatoire

Brugmansia suaveolens

Les Brugmansia spp sont des arbustes de la famille des solanacées, avec des fleurs en forme de calice. Les alcaloïdes tropaniques présents dans ses tiges et feuilles en font une plante très puissante, aux effets visionnaires mais aussi curatifs. Selon l’anthropologue Sébastien Baud, les familles indiennes Awajun du Pérou cultivent et s’échangent cinq variétés de cette plante. Selon la nuance des fleurs (blanches, vertes, jaunes ou rouges), Brugmansia est utilisée pour des usages différents : soin des fractures, des articulations, des kystes ou des maladies vénériennes entre autres. Les pétales blancs à l’extérieur et jaunes ou pourpre à l’intérieur sont préparés pour procurer des visions aux jeunes gens lors des rituels de passage à l’âge adulte.

Rafael Chanchari Pizuri pratique la médecine avec l’ayahuasca et souligne l’importance pour les chamanes de bien « saisir la différence entre les visions qu’elle provoque et leurs propres projections ». Une maîtrise de soi acquise grâce à une « formation longue et difficile et le respect de prescriptions éprouvées, comme éviter certains aliments et s’abstenir de relations sexuelles avant et après avoir bu la mixture ». Ces règles sont encadrées par la communauté, qui demande au chamane d’agir en son nom auprès des esprits de la nature et le surveille de près : « Dès qu’il entre dans ce monde invisible, le chamane accède à beaucoup de...

savoir et de pouvoir, qu’il peut utiliser pour faire le bien ou le mal », précise Jeremy Narby.

D’autant que ces plantes psychotropes réduisent fortement les défenses du psychisme, d’où le risque d’abus psychologiques ou physiques sur des patients par des praticiens peu scrupuleux. L’anthropologue met d’ailleurs en garde les Occidentaux « qui les placent sur un piédestal en les parant d’une aura de sagesse, alors que ce sont avant tout des hommes ».

Quand la science se penche sur l’ayahuasca

Outre ses qualités purgatives et visionnaires, les hommes-médecine amazoniens utilisent l’ayahuasca pour améliorer les humeurs de leurs patients. Une connaissance empirique en passe d’acquérir ses lettres de noblesse scientifiques. En 2019, des chercheurs brésiliens ont démontré l’effet antidépresseur d’une dose unique d’ayahuasca face à un placebo sur des personnes en dépression récurrente. Cette plante aurait la capacité d’augmenter l’afflux sanguin dans les zones cérébrales altérées par la dépression et d’en améliorer ainsi les symptômes.

Dans Psychological Medicine, mars 2019.

Comment alors transposer ces pratiques traditionnelles dans nos sociétés modernes occidentales ? C’est toute la problématique du néochamanisme, qui s’est développé un peu partout malgré des législations qui prohibent la plupart du temps l’usage des psychédéliques, comme en France. Il est pourtant aisé de trouver des sites web proposant des cérémonies ou des séances avec prise d’ayahuasca sans apporter de garanties de leur sérieux. Mieux vaut se renseigner d’abord auprès de personnes qui les ont testées avant de se lancer dans une aventure hasardeuse et illégale. « Il faut avoir beaucoup d’expérience et une bonne formation pour interagir avec les plantes majeures telles les ayahuasca, iboga, peyotl, car elles ont un égrégore et un champ énergétique très forts. Les utiliser en néophyte hors du cadre traditionnel, c’est donner une formule 1 à un ado qui ne sait pas conduire », avertit Olivier Chambon, psychiatre et auteur de plusieurs livres sur les psychédéliques. Lui-même a fait l’expérience de différents guérisseurs et s’est formé aux pratiques de la Foundation for Shamanic Studies.

Dans les pays de tradition chamanique, on trouve en revanche en toute légalité des centres de cure à visée médicinale basés sur ces savoirs ancestraux. C’est le cas du centre Takiwasi, fondé au Pérou voici trente ans par le médecin français Jacques Mabit, qui a obtenu l’aval officiel des autorités péruviennes. On y accueille des patients locaux comme étrangers, toxicomanes ou en souffrance psychique. Ici, on ne cherche pas à qualifier une maladie, mais à approcher le mal-être d’une façon globale.

Un centre pour guérir les addictions

Jacques Mabit a été initié durant plus de vingt ans à la médecine traditionnelle amazonienne. Docteur en médecine, diplômé en pathologie tropicale et naturopathie, il a élaboré une approche mêlant médecines traditionnelles, cure médicinale et psychothérapie transpersonnelle qu’il dispense dans le centre Takiwasi, situé au Pérou. Les diètes et traitements prodigués aux personnes toxicomanes ou en mal-être psychique s’appuient sur l’usage ancestral des plantes locales.

  • Les plantes purgatives : « Elles opèrent un nettoyage profond par vomissement et diarrhée. On utilise par exemple la yawar panga, puissant et dangereux si on ne connaît pas les doses, mais merveilleuse pour rouvrir la fonction onirique ».
  • Les infusions quotidiennes : « Elles nettoient et stimulent les différents systèmes (foie, rein…). Par exemple, la mucura active le système immunitaire et éclaircit le mental ».
  • Les plantes psychoactives : « On fait appel à l’ayahuasca et aussi au tabac, plus puissant encore, pour une auto-exploration intérieure ».
  • Les plantes « maîtresses » : « Elles sont données en respectant des restrictions alimentaires et sexuelles pour en sécuriser et potentialiser les effets. Parmi elles, le chiric sanango traite des problématiques de peur et l’ail sauvage facilite le discernement ».

Lors de rituels en espagnol, Jacques Mabit officie comme guérisseur. Il intervient sur « les parasitages spirituels de personnes infestées par des entités qui troublent leur fonctionnement psychique ». Ici, on vient pour des « diètes » de huit jours (isolement en hutte et suivi psychologique) ou pour le traitement de neuf mois réservé aux toxicomanes très dépendants. Malgré leurs lourdes addictions, la moitié d’entre eux vont au bout de la démarche.

Cette vision néochamanique de l’humain, c’est ce qui a poussé Romain Dian, en crise existentielle profonde, à venir faire des cures en Amazonie et au Brésil. Dans son livre, Humain, (Eyrolles), cet ancien businessman du monde de la nuit raconte son processus de reconstruction. Avec, comme premier pas, le chamane amazonien qui l’accueille dans un rituel d’ayahuasca ouvert aux Occidentaux : « Boire cette plante purgative fut une épreuve et j’ai bien senti qu’elle me débarrassait de mes toxines. Puis j’ai fait des rêves intenses avec la remontée de souvenirs d’enfance : l’ayahuasca m’a montré mes failles pour que je puisse me reconstruire ».

Un long travail psycho­spirituel poursuivi avec des maîtres spirituels au Brésil, au sein notamment de l’église Santo Daime qui sacralise l’ayahuasca. Au Portugal, il découvre aussi dans une cérémonie néochamanique le cactus San Pedro. Son effet psychoactif lié à la mescaline lui « donne des visions clés pour changer de mode de vie ». Mais cet ex-Parisien témoigne aussi du revers de la médaille. Des expériences psyché­déliques intenses peuvent s’avérer si désta­bilisantes qu’il est difficile ensuite de se réinsérer dans le quotidien. « Anticiper le retour en créant un nouveau projet de vie est essentiel », explique Jacques Mabit, qui prévoit à la fin de ses cures un mois de transition pour « atterrir ».

À lire

  • Histoires et usages des plantes psychotropes, de Sébastien Baud, éd. Imago.
  • La Révolution psychédélique, d’Olivier Chambon, éd. Guy Trédaniel.
  • Deux plantes enseignantes, l’ayahuasca et le tabac, de Jeremy Narby, éd. Mamaedition.
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