Jean-François Lyphout ou le triomphe de l’ortie
La bataille que mène l’association pour la promotion des biostimulants (Aspro-PNPP) depuis huit ans vient de connaître un épilogue heureux : le 11 septembre, l’Assemblée nationale a adopté la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, autorisant la commercialisation du purin d’ortie. Une victoire pour son président, Jean-François Lyphout, qui appelle toutefois à rester vigilant.
Plantes & Santé Le 11 septembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté la loi pour l’avenir de l’agriculture classant les Préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) en produits biostimulants. En quoi ce vote est-il une révolution pour votre secteur ?
J-P. L Les PNPP comme le purin d’ortie, le vinaigre ou l’extrait d’ail, vont enfin devenir libres de commerce. La vente mais aussi la production et l’utilisation agricole seront légales. Jusqu’à maintenant la loi les considérait comme des produits phytosanitaires, c’est-à-dire des pesticides, soit un statut impliquant une homologation lourde, alors que nos produits sont des fortifiants qui stimulent les mécanismes naturels de protection des végétaux, connus depuis la nuit des temps. Certes, les particuliers pouvaient se procurer du purin d’ortie en jardinerie. Cependant les agriculteurs qui ne peuvent utiliser que des intrants ayant une Autorisation de mise sur le marché (AMM) vivaient dans la crainte d’une sanction. Ceux-ci pourront enfin revendiquer ce qu’ils font depuis longtemps. En agriculture biodynamique notamment, on utilise beaucoup de tisanes de plantes afin d’apporter aux cultures des compléments en oligo-éléments.
P. & S. En quoi ces préparations naturelles sont-elles si utiles ?
J-P. L Le champ d’action des PNPP est très large. Dans mon réseau, en Dordogne, je peux témoigner que, sur 250 fraisiculteurs, 80 utilisent des extraits végétaux, ce qui leur revient moins cher que les traitements classiques. Mais il y a un déficit de connaissances sur toutes les propriétés de ces produits naturels et je vois dans cette nouvelle légalisation une opportunité de développer la recherche. Je pense aussi qu’on pourra initier un enseignement dans les écoles d’agriculture et de paysage. D’autant plus que ces PNPP vont devenir vraiment indispensables aux collectivités locales qui, dès 2020, ne pourront plus utiliser les pesticides dans les espaces verts publics (cette loi s’appliquera aux particuliers en 2022, ndlr).
P. & S. Cette lutte pour la légalisation des PNPP a commencé il y a huit ans. Quels événements vous ont le plus marqué ?
J-P. L Tout a commencé par cette intrusion brutale et injuste de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) chez Éric Petiot, suite à la parution de son ouvrage «Purin d’ortie et compagnie», en août 2006. Nous avons réussi à mobiliser une centaine d’associations et une trentaine de collectivités. Comment ne pas s’indigner lorsqu’on en arrive à interdire de l’ortie ! Après de nombreuses réunions au ministère de l’Agriculture, nous pensions avoir convaincu: la loi sur l’eau de décembre 2006 excluait les PNPP des produits phytosanitaires. Quelle déception quand le ministère publia un décret pour les reclasser parmi les pesticides... Nous avons alors fondé l’Aspro-PNPP, ce qui nous a permis de lancer une enquête sur la situation chez nos voisins européens où les PNPP sont en vente libre. Ségolène Royal, qui nous soutient activement, a finalement remis le dossier en main propre au ministre Stéphane Le Foll en 2012. Cette année, nous avons sillonné les routes en organisant deux caravanes citoyennes. Cela a certainement fait pencher la balance et permis de faire adopter cette nouvelle loi agricole.
P. & S. Dans cette longue lutte, avez-vous senti une forte pression des lobbies agro-industriels ?
J-P. L En 2010, nous avons eu une preuve évidente de l’influence des lobbies : l’ancienne secrétaire de l’Union des entreprises pour la protection des jardins et des espaces publics (UPJ) a été embauchée sans appel à un poste au ministère de l’Agriculture pour une mission relative aux intrants agricoles... Aujourd’hui, même si la guerre de l’ortie semble être derrière nous, nous restons vigilants car les services du ministère peuvent toujours, par décret, compliquer les procédures ou restreindre la liste des PNPP.
P. & S. Vous sentez-vous menacé par les agro-industriels qui s’immiscent sur le marché des produits biostimulants ?
J-P. L Je préfère qu’ils fabriquent des produits naturels que chimiques! Mais je m’inquiète de les voir racheter de petites entreprises de ce secteur. Alors que nous développons de l’emploi local, ces géants détruisent des emplois et vendent cher. J’ai appris que Goëmar, entreprise de Saint-Malo qui fabrique des biostimulants à base d’algues, avait été rachetée par un grand groupe japonais. On a sauvé le purin d’ortie, mais on assiste à la confiscation des savoirs et de l’autonomie des paysans au pro t des industriels.
P. & S. Votre combat s’inscrit dans le cadre de la défense de l’agro-écologie paysanne et de la santé. Quels sont les prochains grands combats ?
J-P. L Ces enjeux autour des alternatives aux pesticides, on les retrouve pour les semences et les plantes médicinales. Il est injuste que les producteurs de simples ne puissent pas informer les consommateurs sur les propriétés de leurs tisanes. Les grandes actions associatives comme celles menées par Générations futures sont importantes mais pas suffisantes. Il faut faire, agir concrètement: je n’ai jamais cessé de vendre mes purins depuis 2000 alors que j’encourais le risque de deux ans de prison et de 75000 € d’amende...
De l’engrais à la portée de tous
Les purins sont des extraits fermentés de plantes : ortie mais aussi tomate (feuilles et tiges), bardane, souci, fougère aigle, pissenlit, valériane, consoude ou prêle, se prêtent à ce mode de préparation simple. Rien n’interdit de mélanger les extraits pour obtenir un effet encore plus fortifant et fertilisant.
Recette du purin d’ortie
Cet engrais naturel stimule la flore bactérienne et réactive la vie du sol, accélère la croissance des plantes et renforce leurs défenses naturelles (il retarde par exemple le mildiou de la tomate). Le purin d’ortie est répulsif envers les pucerons verts et noirs.
1 Récoltez feuilles et tiges. Hachez-les finement dans un seau et recouvrez d’eau.
2 Laissez reposer de 5 à 30 jours en fonction de la température externe (15 jours à 18-20 °C par exemple). Couvrez sans fermer hermétiquement et remuez tous les jours pour oxygéner.
3 Lorsque de petites bulles blanches ne se forment plus à la surface, la fermentation est terminée.
4. Filtrez la macération. Prévoir 1 kg de plants pour 10 l d’eau de pluie.
La guerre de l’ortie en 10 dates
Janvier 2006 Loi d’orientation agricole (LOA) : toute préparation agricole doit être homologuée et la diffusion des connaissances est interdite.
Été 2006 Perquisition chez Éric Petiot par la DGCCRF suite à la publication de l’ouvrage « Purin d’ortie et compagnie » coécrit avec Jean-Paul Collaert et Bernard Bertrand. Constitution du Collectif ortie et compagnie .
Décembre 2006 La loi sur l’eau soustrait du cadre de la LOA les purins. Ils prennent l’appellation de Préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).
Avril 2008 Arrêté du ministère de l’Agriculture : les PNPP sont classés à nouveau dans les produits phytopharmaceutiques.
Printemps 2008 Création de l’ASPRO-PNPP.
Décembre 2009 Arrêté relatif à la procédure simplifiée d’autorisation de mise sur le marché des PNPP à usage phytopharmaceutique. Les exigences sont inadaptées au développement des PNPP.
Avril 2011 Arrêté autorisant la mise sur le marché du purin d’ortie en tant que PNPP à usage phytopharmaceutique. Avec une recette erronée.
Juin 2011 -Dec 2012 : L’Aspro- PNPP mène une étude démontrant la souplesse de la réglementation relative aux PNPP en Espagne, en Autriche et en Allemagne.
Janvier 2014 Adoption d’une loi interdisant les pesticides dans les espaces verts publics dès 2020 et dans les jardins particuliers à compter de 2022.
Septembre 2014 La loi pour l’avenir de l’agriculture classe finalement les PNPP dans les produits biostimulants.