Dr Jacques Rouillier « Nous sommes conçus pour jeûner de temps à autre »
Jacques Rouillier a créé en 2019, avec un petit collectif de médecins, l’Académie médicale du jeûne. Leur objectif : former les médecins et soignants à l’accompagnement médical du jeûne et à ses bénéfices pour la santé. Un défi ambitieux, tant la méfiance vis-à-vis de cette pratique est forte en France, alors qu’elle fait partie de l’arsenal thérapeutique médical en Allemagne.
Plantes & Santé En septembre, vous avez marché 100 km en jeûnant pendant une semaine entre Saint-Malo et le Mont Saint-Michel, avec une quinzaine d’autres médecins. Pourquoi l’avoir médiatisé ?
Dr Jacques Rouillier Nous voulions faire comprendre à nos confrères et consœurs médecins que la pratique du jeûne est sérieuse et suffisamment intéressante pour ne pas être écartée d’un revers de main et remisée au rayon des sectes ou des charlatans. Et ce, même si elle n’est pas encore validée par la médecine officielle en France. Parmi les marcheurs se trouvaient des spécialistes en gynécologie, rhumatologie, pédiatrie ou médecine générale.
P&S Sachant que le jeûne thérapeutique est plutôt prôné par les naturopathes, comment le médecin que vous êtes s’y est intéressé et formé ?
J. R. La faculté de médecine non seulement ne parle pas de cette approche, mais dans les rares cours de nutrition, on apprend surtout à prévenir la dénutrition. Pour un médecin, le jeûne apparaît donc comme contre-intuitif. Personnellement, j’ai eu un déclic avec le documentaire de Thierry de Lestrade « Le jeûne, une nouvelle thérapie ? ». J’ai expérimenté une semaine de jeûne et de randonnée en couple et nous avons été sidérés par la facilité avec laquelle nous l’avons vécue. Ensuite, je me suis formé par des rencontres, en lisant des études scientifiques et lors d’un congrès en Allemagne organisé par la clinique Buchinger, la référence du jeûne médical outre-Rhin. Là-bas, les médecins ont le droit de prescrire cette pratique, qui est même prise en charge par certaines caisses d’assurance maladie.
P&S Dans votre Académie médicale du jeûne, vous fédérez seulement une quarantaine de médecins. Quelles actions menez-vous pour convaincre le monde médical ?
J. R. Nous proposons essentiellement, depuis trois ans, des formations à l’accompagnement médical du jeûne destinées aux médecins et aux soignants. Les stages durent un week-end ou toute une semaine. Ils expérimentent le jeûne périodique et assistent à des conférences sur ses effets démontrés en matière de prévention cardiovasculaire, de rhumatologie, sur le syndrome métabolique ou les maladies inflammatoires, notamment digestives.
P&S Sachant que le milieu médical allègue souvent le manque d’études cliniques sur le jeûne, quelles bases scientifiques étayent vos formations ?
J. R. Nous avons fondé une revue médicale sur le jeûne car de nombreux travaux ont été menés depuis plus d’un siècle. Le Dr Guillaume Guelpa, qui soignait des diabétiques avant l’invention de l’insuline, prônait déjà le jeûne en 1910 à l’Académie de médecine ! Nous nous référons aux recherches des professeurs Valter Longo et Mark Mattson, du chercheur Rafael de Cabo et, bien entendu, du médecin Françoise Wilhelmi de Toledo. Cette dernière est directrice médicale de la clinique Buchinger en Allemagne. Elle a mené la plus grande étude scientifique au monde sur les effets du jeûne (lire encadré).
P&S En quoi la privation de nourriture pendant quelques jours améliore-t-elle vraiment le fonctionnement biologique du corps ?
J. R. Nous sommes conçus génétiquement pour jeûner de temps à autre, car notre fonctionnement métabolique fait que nous stockons de la nourriture en prévision de moments de pénurie. Nous avons deux types d’énergie : celle que nous apporte l’alimentation et celle de nos réserves propres. Se mettre à jeun conduit donc au phénomène d’autophagie, qui consiste à puiser dans ses réserves pour se nourrir, avec une vertu de régénération cellulaire. Le biologiste japonais Yoshinori Ohsumi a d’ailleurs reçu le prix Nobel de médecine en 2016 pour ses travaux sur l’autophagie. Il démontre comment une cellule vivante privée d’apport de nourriture opère un nettoyage salvateur en recyclant ses composants détériorés pour produire de l’énergie.
P&S Comment se déroule un jeûne selon la méthode du Dr Buchinger, tel que vous l’avez pratiqué lors de votre marche ?
J. R. Cette méthode, qui est la plus validée scientifiquement, commence par une semaine au cours de laquelle on élimine progressivement les produits animaux, puis les céréales, puis tout ce qui n’est pas fruits ou légumes. Ensuite, la semaine de jeûne démarre souvent par une purge aux sels d’Epsom afin de vider les intestins. Durant la cure, on boira jusqu’à deux litres de liquide par jour – de l’eau, des tisanes ainsi qu’un jus de légumes frais extrait le matin et un bouillon clair de légumes le soir. Ces derniers apportent des vitamines et surtout des sels minéraux pour éviter une tension trop basse. L’important dans la méthode Buchinger est d’associer une activité physique douce (marche, yoga, stretching, qi gong…) pour activer la circulation sanguine dans tous les organes d’élimination avec des bienfaits sur le foie, les reins et la respiration. Puis on sort du jeûne en réincorportant sur une semaine les aliments dans l’ordre inverse, pour relancer le transit intestinal. Les cures se font une à trois fois par an maximum, contrairement au jeûne intermittent qui peut se pratiquer toute l’année comme une hygiène de vie, avec aussi de vrais bénéfices.
P&S Le jeûne périodique est-il vraiment adapté à tout le monde ? Quelles sont les contre-indications pour éviter les accidents, comme cela est déjà arrivé ?
J. R. Même quand on est en bonne santé, il ne faut pas se lancer seul dans un jeûne de plusieurs jours. Bien entendu, celui-ci est contre-indiqué dans certains cas : grossesse et allaitement, avant la fin de la croissance, troubles du comportement alimentaire, insuffisance cardiaque, respiratoire, rénale, hépatique ou problèmes thyroïdiens non équilibrés. Pour le diabète de type 1, il faut rester très prudent alors que pour le diabète de type 2, jeûner occasionnellement présente des bénéfices. Dans les cas de cancer, la première étape passe évidemment par un traitement en lien avec l’oncologue. Certaines études encore peu nombreuses semblent montrer que jeûner aiderait à mieux supporter les effets secondaires de la chimiothérapie et augmenterait son efficacité. Les cellules cancéreuses se nourrissant de glucose, une restriction calorique et surtout en sucre paraît donc logique avec, pourquoi pas, un régime cétogène, pauvre en glucides plutôt qu’un jeûne drastique. Dans tous les cas, un médecin formé au jeûne doit évaluer l’état médical de chaque patient et le suivre pendant la cure.
Parcours
- 1974 Début d’études de médecine à la faculté de Rennes.
- 1983 Interruption du cursus de médecine pour créer une radio libre et travailler comme journaliste.
- 1995 Reprise des études de médecine et soutenance d’une thèse de docteur en médecine générale en 2000.
- 2005 Installation comme médecin généraliste à Saint-Coulomb (35).
- 2014 Première expérience de jeûne d’une semaine avec son épouse.
- Juin 2019 Participation au Congrès sur le jeûne, organisé à Überlingen en Allemagne par la clinique Buchinger Wilhelmi.
- Septembre 2019 Création de l’Académie médicale du jeûne en France. Academie-medicale-du-jeune.fr
- Septembre 2022 Organise la marche de médecins « 100 km en jeûnant ».
Même lorsqu’on est en bonne santé, il ne faut pas se lancer seul dans un jeûne.
L’effet du jeûne Buchinger étudié en Allemagne
Dans sa clinique Buchinger Wilhelmi, pionnière en Allemagne en matière de jeûne médical, le médecin Françoise Wilhelmi de Toledo a mené la plus vaste étude scientifique observationnelle sur le jeûne à ce jour. En collaboration avec le Dr Andreas Michalsen de l’hôpital de la Charité à Berlin, elle a suivi sur un an 1 422 personnes qui ont pratiqué plusieurs cures de jeûne de 5 à 20 jours. Les résultats publiés en 2019 indiquent que suite à ces jeûnes, leurs taux de cholestérol et de lipides sanguins avaient baissé, la tension artérielle s’était améliorée ainsi que les paramètres du diabète, dont la glycémie. Parmi les 404 sujets ayant des problèmes de santé préexistants (arthrite, diabète de type 2, hypertension artérielle et fatigue), 84 % ont signalé une amélioration. Des cas isolés de maux de tête, problèmes de sommeil, fatigue ou douleurs lombaires ont été signalés durant les trois premiers jours de cure. Dans Plos One, janvier 2019.