Jérôme Guillard «Les sarments de vigne recèlent des trésors»
Depuis plusieurs années, Jérôme Guillard travaille à un projet de valorisation de la vigne par la chimie verte, notamment de ses sarments. Ces résidus de l’activité viticole offrent des débouchés industriels et thérapeutiques, avec des molécules naturelles à fort potentiel. Retour sur des recherches prometteuses.
Plantes & Santé Pourquoi et comment vous êtes-vous intéressé aux sarments de vignes ?
Jérôme Gaillard On savait qu’il y avait un immense engouement pour le resvératrol à l’échelle mondiale. Ce polyphénol qu’on retrouve dans le raisin, mais aussi dans certaines baies ou plantes, a déjà donné lieu à plus de 9 millions de publications tant il est prometteur d’un point de vue thérapeutique. Or non seulement le sarment en contient aussi, mais nous avons identifié d’autres polyphénols très intéressants et encore peu étudiés, comme la viniférine. Au même moment, la région Poitou-Charentes avait manifesté sa volonté de soutenir des projets autour du carbone renouvelable. Nous avons donc travaillé sur une technologie qui permette d’exploiter toutes les différentes parties du sarment à partir d’une extrudeuse et d’un solvant vert.
P. & S. Est-ce une ressource si polyvalente ?
J. G. Le sarment est le rameau vert qui pousse chaque année sur la vigne et que les viticulteurs taillent à différentes longueurs pour influer sur le rendement et la maturation des raisins. À l’heure actuelle, les viticulteurs s’en servent juste comme engrais naturel, avec un rendement assez faible. Or nous avons réussi à créer toute une boucle de production offrant de nombreux débouchés intéressants pour ses différents composants. Sa cellulose et son hémi-cellulose peuvent devenir source de bioéthanol, de tensioactifs pour l’industrie (détergents, émulsifiants...) ou d’engrais organique pour les viticulteurs, tandis que sa lignine peut servir pour de nouveaux agents cosmétiques. En n, les solvants permettent d’extraire les polyphénols, potentiellement utilisables pour leurs vertus thérapeutiques mais aussi comme biopesticides. Le sarment de vigne est une ressource noble quantitativement importante (1 tonne par hectare d’exploitation), renouvelable et peu chère. Or un kilo de sarment sec d’ugni blanc nous permet d’extraire un gramme de resvératrol et un gramme de viniférine, à des coûts potentiellement inférieurs aux sourcesactuelles, principalement la renouée du Japon.
P. & S. Quel est l’intérêt thérapeutique de la viniférine ?
J. G. Une propriété majeure de la molécule est son caractère antioxydant et protecteur, ce qui la rend intéressante en cosmétique. Mais les résultats les plus récents concernent une étude sur la préservation des organes avant trans- plantation, en partenariat avec l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). La détérioration rapide des cellules et des tissus est un problème majeur. Or les études menées in vitro avec la viniférine suggèrent une protection importante des cellules. Si ces résultats se confirment, cela serait une avancée majeure pour toutes les personnes transplantées. Comme on savait par ail- leurs que le resvératrol était également prometteur contre la maladie d’Alzheimer, nous avons voulu tester la viniférine, en partenariat avec le laboratoire CiMoTheMA de l’université de Poitiers.
P. & S. Quels ont été les résultats concernant Alzheimer ?
J. G. Ce sont des résultats préliminaires, liés à des études in vitro et in vivo sur un petit nombre d’animaux, mais ils sont extrêmement enthousiasmants. On voit qu’en présence de viniférine, plus qu’avec le resvératrol, il y a une réduction significative des marqueurs de l’inflammation neuronale, ainsi qu’un effet de prévention et de diminution des plaques amyloïdes caractéristiques d’Alzheimer, dont la taille se réduit de 20 à 60 % au cours de nos experimentations.
P. & S. Peut-on imaginer des médicaments naturels disponibles bientôt ?
J. G. Comme « phytomédicament » ou alicament, la viniférine paraît être un très bon candidat, d’autant qu’elle a la particularité, par rapport aux autres molécules étudiées, de traverser la barrière hémato-encéphalique. Si au début, on avait constaté des problèmes de toxicité hépatique, en refaisant l’étude avec une concentration dix fois moindre de viniférine (10 mg/kg), on a quasiment le même effet thérapeutique, mais avec a priori aucune toxicité... Tout cela reste à confirmer, bien sûr. Nous souhaitons pouvoir lancer des études in vivo plus longues car Alzheimer est un énorme problème de santé publique, qui concerne près de 850 000 malades rien qu’en France.
P. & S. Quelles sont les autres pistes de développement pour cette nouvelle molécule naturelle ?
J. G. Cette molécule, sécrétée par la vigne pour se protéger des maladies, semble pouvoir être utilisée comme biopesticide contre les maladies cryptogamiques (mildiou ou botrytis) mais surtout sur les maladies du bois de la vigne. Utiliser un phytosanitaire issu de la vigne pour protéger la vigne serait bien ! La viniférine reste plus chère à produire que la fameuse bouillie bordelaise, mais étant donné les problèmes environnementaux que celle-ci posera à terme du fait de sa concentration en cuivre, la viniférine pourrait devenir une alternative intéressante. Des fabricants de cognac ont d’ores et déjà témoigné de leur intérêt car c’est un souci majeur pour le secteur. Mais pour cette application comme pour les autres, nous cherchons encore des financements pour passer à la vitesse supérieure.
Parcours
1999 Doctorat de chimie.
2000 Ingénieur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique.
2002 Maître de conférences à l’université de Tours.
2011 Professeur à l’université de Potiers.
2011 Participation au projet ViNox en partenariat avec la région Poitou-Charentes et l’entreprise Valagro.
2011 Début des expérimentations de la viniférine sur les maladies du bois de la vigne.
2014 Début de l’étude animale sur les effets protecteurs de la viniférine contre Alzheimer.
2015 Demande de financement auprès de différents organismes (ministère de l’Agriculture, Cognac Hennessy et France Alzheimer notamment).
Les nouveaux potentiels du resvératrol
Antioxydant majeur reconnu depuis plusieurs décennies, le resvératrol a montré des intérêts thérapeutiques dans des domaines aussi différents que la santé cardiovasculaire, la cancérologie ou la maladie d’Alzheimer notamment. Certaines de ses propriétés sont pourtant moins connues et ont fait l’objet de recherches récentes. Celles-ci démontrent un effet protecteur contre divers polluants environnementaux (tabac, dioxines, PCB...) et restaurateur sur la bonne flore intestinale. Ces effets conjugués contribuent à expliquer pourquoi le resvératrol montre également un effet anti-inflammatoire probant en rhumatologie ainsi qu’une grande utilité dans les cas de diabète insulinodépendant (meilleure tolérance au glucose et hausse de la production d’insuline). Ces bienfaits thérapeutiques ont longtemps été limités par la très faible biodisponibilité de la molécule, trop vite métabolisée et évacuée par l’organisme. Des nouvelles formes galéniques semblent toutefois avoir réussi à contourner en partie cet obstacle, augmentant sa concentration et sa durée de circulation dans le corps.