Perturbateurs endocriniens : du bio gratuit sur ordonnance pendant la grossesse
Sensibiliser les femmes enceintes aux dangers des perturbateurs endocriniens en leur offrant des paniers de légumes bio : cette initiative inédite menée depuis un an à Strasbourg a rencontré un succès inespéré. Retour sur une expérimentation qui pourrait être reprise ailleurs…
L'élu écologiste Alexandre Feltz (EELV) ne s'attendait pas à susciter un tel engouement lorsqu'il a lancé, en novembre 2022, le dispositif « Ordonnance verte » dans sa municipalité de Strasbourg, une première en France. Il pensait avoir prévu large en offrant sur prescription médicale à 800 femmes enceintes de la ville des paniers hebdomadaires de légumes bio locaux durant sept mois (budget 500 000 euros). La condition était qu'elles suivent deux ateliers d'information sur les perturbateurs endocriniens (PE) : « Avant même d'avoir ouvert les inscriptions en janvier, nous avions déjà plus de cent femmes sur liste d'attente ». Un succès tel que Strasbourg a voté l'extension du dispositif, avec quelques ajustements. À présent, 1 500 femmes enceintes pourront en bénéficier chaque année – soit à peu près la moitié du public concerné. Elles recevront des légumes bio et locaux pendant deux à sept mois, en fonction de leurs revenus. « L'accès à l'alimentation bio est freiné par les inégalités sociales alors que c'est une clé essentielle pour se protéger des perturbateurs endocriniens, notamment pendant la grossesse », souligne Alexandre Feltz, qui est également médecin généraliste. Et c'est justement parce qu'il sait que les femmes enceintes et leurs bébés sont particulièrement vulnérables aux PE que cet élu, aidé du Réseau Environnement Santé, a mis en œuvre cette politique volontariste. D'autant que Strasbourg est aussi signataire de la charte « Villes et territoires sans perturbateurs endocriniens », comme 300 autres villes. Un engagement à préserver les habitants et les écosystèmes des PE et des pesticides, qui donne lieu à différents types de campagnes selon les municipalités. À Annecy, c'est une campagne « zéro phtalates » menée dans trois lycées qui a permis de réduire de 70 % l'exposition des participants à ces perturbateurs endocriniens.
4 réflexes pour faire le ménage dans les perturbateurs
Si l'on peut difficilement éliminer tous les perturbateurs endocriniens, omniprésents dans notre environnement, il est possible d'y être moins exposé en adoptant quelques gestes de prévention.
- Privilégier les récipients alimentaires en verre, inox ou céramiques plutôt qu'en plastique pour éviter les bisphénols et les phtalates.
- Préférer les poêles et casseroles en inox, céramique ou fonte et éviter les revêtements antiadhésifs type téflon, suspectés de transmettre aux aliments des perfluorés (ou « polluants éternels »).
- Le vinaigre blanc, le bicarbonate de sodium et le savon noir remplacent très bien la plupart des produits ménagers contenant souvent du triclosan, de l'alkylphénol, de l'éther de glycol…
- Fabriquer ses cosmétiques ou les choisir avec des labels type Écolabel européen, Cosmebio, Cosmos organic, Nature et Progrès… garantissant l'absence de substances préoccupantes comme des conservateurs (butylparabène ou propylparabène).
Sensibiliser, un levier au changement
Sensibiliser pour susciter des choix éclairés, c'est tout l'enjeu des ateliers dispensés à Strasbourg aux femmes enceintes par des éco-conseillères : « Nous leur rappelons notamment que l'alimentation non bio est la principale source de contamination aux pesticides, dont les deux tiers sont des perturbateurs endocriniens », explique Isabelle Delhon, spécialiste en santé environnementale. Des substances nocives très présentes aussi dans les produits ménagers, les cosmétiques, « et aussi dans les plastiques des biberons et bouteilles d'eau, que nous leur conseillons d'éviter », précise-t-elle. Et lorsque ces femmes comprennent comment les composés œstrogéniques des perturbateurs endocriniens affectent leur santé et celle du bébé (impact sur le système reproductif et le développement de l'enfant, risque de cancers et de maladies chroniques, troubles thyroïdiens…), l'experte constate qu'« après deux ateliers, elles commencent déjà à modifier certaines habitudes ».
Ainsi Moufida, jeune maman surtout intéressée au départ par la gratuité des légumes bio, a écouté avec attention les éco-conseils : « Avec mon bébé et un mari diabétique à la maison, je fais encore plus attention à cuisiner du fait maison et j'essaie d'utiliser du vinaigre blanc et du bicarbonate pour l'entretien ». Elle aimerait continuer, dit-elle, à acheter bio par la suite, « si on y arrive financièrement ». De son côté, Julie, l'une des premières à avoir participé à cette initiative, aurait apprécié encore davantage d'informations : « Je pensais avoir de bonnes notions, mais je ne savais pas que les perturbateurs endocriniens impactent autant notre quotidien. J'ai fait le tri dans ma cuisine en troquant mes Tupperware en plastique contre du verre, je limite le vernis à ongles et je cuisine bio, surtout pour mon bébé ». Indéniablement, les messages de prévention passent : pour preuve, 90 % des femmes déclarent vouloir continuer le bio dans les questionnaires de suivi de ce dispositif. « C'est le signe d'une sensibilité croissante de la population à ces questions de santé et d'environnement », se réjouit l'élu Alexandre Feltz.
De fait, un nombre croissant d'études scientifiques confirme leur nocivité. Si bien que l'Autorité européenne de sécurité alimentaire a même réévalué fortement en avril la dose journalière tolérable dans le corps humain pour le bisphénol A – toujours utilisé dans les plastiques polycarbonates de certaines canettes de soda ou boîtes de conserve par exemple – en fixant un seuil 20 000 fois plus bas que la réglementation précédente ! Il faut dire qu'on a retrouvé ce PE dans 92 % des analyses d'urine réalisées dans onze pays européens, et même à 100 % en France… Ce qui prouve que malgré son interdiction chez nous dans les contenants alimentaires, il est encore répandu.
Une appli pour les traquer
Avec l'application Scan4Chem, il suffit de scanner le code-barre d'un article (hors alimentation pour le moment) pour savoir s'il contient des perturbateurs endocriniens ou substances nocives pour la santé. Vêtements, meubles, électronique, jouets, couches, voitures, vélos, la liste des produits concernés est longue. Gratuite et disponible au niveau européen, elle peut déjà se télécharger sur les smartphones. Si toutes les informations ne sont pas encore disponibles, les industriels auront l'obligation légale de les publier à partir du 12 avril 2024.
Multiplier les campagnes d'information et de prévention
D'autres tests ont mis en évidence des pourcentages importants de pesticides présents dans les cheveux des Européens. Cela n'a pas empêché l'Union européenne, sous la pression des lobbys, de réautoriser pour dix ans le glyphosate (suspecté d'être mutagène), tandis qu'elle refuse de réduire de moitié les pesticides d'ici à 2030. Un contexte qui montre toute l'importance de multiplier, au plus près des citoyens, les campagnes d'information et de prévention sur ces substances nocives pour la santé. Sandra Regol, députée EELV du Bas-Rhin, s'est d'ailleurs inspirée de l'ordonnance verte strasbourgeoise pour déposer une proposition de loi afin de généraliser ce dispositif au niveau national afin de permettre à toutes les femmes enceintes d'en bénéficier.
Aller plus loin
Petite bible de santé environnementale, par Auxanne Maurille-Biron et Clémence Pouclet, éd. Thierry Souccar