Voyage immobile
C'est un petit village au bord d'un lac aux eaux claires. Ses maisons aux façades pastel et aux balcons de bois joliment fleuris s'abritent au pied des montagnes. Hallstatt, c'est son nom, situé dans les Alpes autrichiennes, est devenu en quelques années un des hauts lieux du tourisme mondial : ses 780 habitants ont vu défiler l'an dernier près d'un million de visiteurs. Pourtant, si l'endroit est idyllique, le ballet des touristes y est très rythmé. Ils n'y restent que quelques heures avant de repartir dare-dare, plutôt que de profiter réellement de la quiétude du lieu. À peine arrivés, et déjà sur le départ.
Un perpétuel mouvement
Ce besoin de bouger ne concerne pas seulement le tourisme – a fortiori celui venu d'Asie, que l'on se plaît à caricaturer. Se déplacer fait partie de nos vies, c'est devenu un besoin de première nécessité au même titre que manger et respirer. La démarche des Gilets jaunes en est une illustration récente. La hausse du prix du carburant que voulait imposer le gouvernement ne signifiait pas seulement une baisse de pouvoir d'achat, elle a été aussi vécue comme une atteinte à la liberté de se déplacer. Une liberté portée par tout un imaginaire, qui se déploie dès lors que l'on prend le volant – et auquel participent largement les images publicitaires d'automobiles roulant vers de grands espaces. Nous faisant oublier la contrainte. Car cette façon d'être sans cesse en mouvement est devenue un des impératifs de nos vies, et nous en sommes désormais dépendants. Il ne faut pas négliger le transport aérien qui, avec l'offre low cost (et non slow cost…), s'est démocratisé à vitesse grand V. Et qui continue de proposer des offres tarifaires incroyables, alors qu'aucune taxe – oui, zéro taxe ! –, ne vient augmenter le prix du kérosène.
L'augmentation du trafic, ressort de la mondialisation, a été si rapide que l'on peut se demander si nous n'aurions pas réussi à inventer le mouvement perpétuel. Sauf que nous en sommes loin ! Ce dernier dure indéfiniment sans apport extérieur d'énergie ou de matière ni transformation du système le produisant ; or le mouvement incessant qui accompagne nos sociétés nécessite, lui, toujours plus d'énergie et fait énormément de dégâts. À notre planète, abîmée de toutes parts ; comme à nous-mêmes, car nous sommes poussés à envisager sans cesse de nouvelles destinations sans réfléchir à la durabilité des chemins qui y mènent.
En ce début d'année, si j'avais un vœu à formuler, ce serait celui-ci : prenons, dès que nous le pouvons, le contre-pied de ce mouvement incessant et inspirons-nous du rythme des plantes, ces voyageuses au long cours. Regardons régulièrement et le plus souvent possible la couronne des arbres ou les ombelles des fleurs qui nous sont proches, et donnons-nous le temps de nous imprégner de leur ancrage fécond. De très beaux voyages immobiles en naîtront…