Au nom de la Science ?
Un président qui brandit un remède en forme de bouteille… à situation sanitaire exceptionnelle, prise de position exceptionnelle ! C'est ainsi que le président de Madagascar, Andry Rajoelina, a annoncé la mise au point d'un traitement à la fois préventif et curatif contre le Covid-19. Et propulsé par la même occasion la médecine traditionnelle à base de plantes sur la scène mondiale de la pandémie. Le Covid-Organics est en effet une tisane composée aux deux tiers d' Artemisia annua et de deux autres plantes locales non révélées.
Cette annonce, illustre la course de vitesse et de communication dans laquelle se sont lancés les laboratoires, les pays, les experts de tous bords pour trouver le traitement à même de contenir le Covid-19. Depuis le début de l'épidémie, aucune piste semble ne devoir être négligée, médicaments plus ou moins anciens qui sont repositionnés contre le Sars-Cov-2, recherches étonnantes faisant apparaître les propriétés de la nicotine ou des anticorps des lamas… Au nom de la Science apparemment, tout peut être testé. Tout, sauf une décoction à base de plantes, le Covid-Organics malgache, qui dérange.
En effet, l'Organisation mondiale de la santé s'est empressée de lancer une mise en garde à destination des pays africains notamment : « Même lorsque des traitements sont issus de la pratique traditionnelle et de la nature, il est primordial d'établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux ». Et notre Agence nationale de sécurité sanitaire, l'Anses, a discrédité le remède, expliquant que les produits à base d' Artemisia annua « n'ont jusqu'alors pas fait la preuve de quelconques vertus thérapeutiques ». Pourtant cette plante, le monde médical ne peut que la connaître. L'une de ses molécules, l'artémisinine est à l'origine des médicaments antipaludiques actuels, qui ont valu à Youyou Tu le prix Nobel de médecine en 2015. L' Artemisia annua a aussi été largement étudiée et utilisée en Chine, lors de l'épidémie de coronavirus de 2003, et contre l'épidémie actuelle. Elle possède des propriétés immunomodulantes.
Mais c'est une autre règle qu'appliquent les experts occidentaux, celle de deux poids, deux mesures. Car au moment où l'on met en doute le remède malgache, le remdésivir du laboratoire Gilead, un antiviral testé sans succès contre Ebola, a obtenu une autorisation. Or ce médicament, au moment où nous bouclons*, comme tous les autres traitements actuellement utilisés pour soulager les malades, le Covid-Organics compris, n'en est qu'au stade expérimental. Pire, une étude publiée dans la revue The Lancet a conclu à l'absence « de bénéfice clinique significatif » du remdésivir.
Deux poids, deux mesures. Quand il s'agit de la puissante industrie pharmaceutique, dont le chiffre d'affaires a été multiplié par trois depuis le début du XXIe siècle, d'autres arguments ne tiennent pas. La bouteille de la tisane Covid-Organics se vend seulement 0, 37 euros, alors que le seuil de rentabilité du remdésivir serait estimé à 4 500 dollars par traitement, et fera l'objet de négociations politico-financières serrées.
Alors vous qui, comme moi, avez été sensible aux appels lancés pour que le monde d'après soit différent, voilà une bonne façon de commencer. Et on peut le faire tout de suite. Si nous plantions de l' Artemisia annua dans nos jardins ?
*Ce numéro de Plantes & santé a été bouclé le 11 mai, premier jour du déconfinement.