Des patients influenceurs
Le ton est vif et direct, sans tabou… Pourtant le sujet dont il est question n’a rien de glamour. Dora Moutot est en effet atteinte d’une forme de dysbiose intestinale et c’est ce souci, bien scatologique, qui a fait d’elle une star des réseaux sociaux et depuis peu l’auteure d’une websérie documentaire, Comment j’ai hacké mes intestins, diffusée sur le site arte.tv.fr. Six épisodes d’une quinzaine de minutes au ton décalé qui interpellent et entraînent dans la quête de traitements des probiotiques à toutes sortes de régimes en passant par la la phagothérapie. Mais tout en nous présentant ces thérapies novatrices, avec la caution de quelques scientifiques, la série fait surtout une autre démonstration. Dora nous le raconte sans filtre : c’est bien grâce aux groupes de malades sur Facebook, qu’elle a pu avancer dans la prise en charge de sa pathologie ; et de surenchérir : « Je ne suis pas la seule à trouver que les groupes de malades sont vraiment utiles quand on est malade chronique ».
Avec le développement exponentiel des technologies numériques, les échanges directs entre patients évoquant leur expérience de la maladie, suivent la même courbe. Le besoin de parole semble si fort que ce n’est plus un problème de s’affranchir du pouvoir médical. La liberté avec laquelle la chaîne publique propose cette websérie jusqu’en 2023 en est un signe révélateur.
Personnes auparavant isolées et luttant dans l’ombre, les patients actifs sur les réseaux sociaux sont devenus des acteurs solidaires affichant et revendiquant les traitements testés contre leur maladie. Ce que d’aucuns appellent une « expertise profane », trouve de plus en plus de façons de s’exprimer et de se faire entendre. Un savoir construit au fil de l’expérience quotidienne de la maladie, et qui au travers d’apprentissages empiriques, acquiert de la légitimité.
Il faut dire que les connaissances des malades en tant que malades se sont structurées. Et cela concerne de nombreuses problématiques médicales comme l’endométriose ou la fibromyalgie. Mais aussi le dossier du cannabis, où « ce sont les malades usagers qui sont les experts de leur maladie et du cannabis médical », estime le médecin Pascal Douek. Le livre Cannabis médical, du chanvre indien aux cannabinoïdes de synthèse montre bien tout ce qui a été appris en testant différentes façons d’absorber la plante pour se sentir mieux.
Ces patients qui se soignent par eux-mêmes en tirent une certaine fierté. On peut le comprendre. D’autant qu’ils sont même devenus des influenceurs. Mais que cela se traduise par l’émergence d’un nouveau communautarisme, rendant le dialogue plus difficile avec les professionnels de santé, on ne saurait le souhaiter. Pour éviter cela, c’est pourtant à la médecine de bouger. Les jeunes médecins semblent en avoir pris la mesure.
La décision de se former à la phytothérapie et à l’aromathérapie relève chez eux d’une prise de conscience : non seulement leurs patients souhaitent se soigner ainsi, mais ils ont une bonne expertise de ces traitements.
Espérons que ce type de démarche puisse faire école. Les patients comme les médecins ont tout à y gagner. C’est, en effet, la condition pour que se développent une plus grande écoute et un échange constructif essentiel pour contrer la maladie.
Cannabis médical, par Michka et al., nouvelle édition, Mama éditions, 360 p., 24 euros.