Vers un design phyto-centré
Pendant des siècles, notre aliénation inhérente à notre rapport à la nature nous a empêchés de vraiment voir les plantes, et de les comprendre plus que comme de simples matériaux ou des objets décoratifs. Mais aujourd'hui, une nouvelle génération de designers trouve dans sa relation au végétal une façon de changer nos perspectives et par extension de repenser les rapports qu'entretient le design au reste du vivant et aux habitats. Dès la fin du XIXe siècle, des designers comme l'écossais Christopher Dresser, un des designers britanniques les plus importants de l'époque victorienne, se passionnaient déjà pour les formes infinies du règne végétal. Mais face à la crise environnementale, ce n'est plus seulement de la forme des plantes que s'inspirent les jeunes designers. Embrassant une approche plus holistique que leurs aînés, un nombre grandissant de designers s'engagent de façon plus globale auprès des communautés locales, questionnent l'impact de leur profession, leur rôle, et s'interrogent sur l'origine des matériaux utilisés, ainsi que le devenir des objets développés. Mode, ameublement et autre produit du quotidien… Cette nouvelle relation au monde végétal suppose de réinventer les pratiques du design, bien souvent polluantes, et reposant sur des méthodes extractives, de surproduction et de surconsommation.
Ainsi, par exemple, la designer hollandaise Nienke Hoogvliet teint des étoffes en lin en utilisant des teintures naturelles concoctées par ses soins à base de plantes médicinales telles que le romarin ou la camomille. Elle transforme ensuite ces textiles aux couleurs délicates en couvertures matelassées chaudes et saines pour la peau. À la différence des textiles destinés à la distribution de masse teints industriellement à partir de substances chimiques toxiques, ses productions ne polluent pas non plus les sols.
Au Mexique, sous la pression économique et politique, les habitants du village de Tonahuixtla avaient quasiment cessé de cultiver les variétés de maïs indigènes ancestrales au profit d'hybrides. Grâce au projet Totomoxtle du designer mexicain Fernando Laposse, ils ont retrouvé une indépendance économique et sauvegardé leur agrobiodiversité ancestrale en revalorisant des sous-produits du maïs cultivé. Les femmes du village confectionnent des éléments de marqueterie à partir des feuilles colorées de seize anciennes variétés de maïs locales cultivées et récoltées par la communauté. Le designer réalise avec des lampes, vases et installations murales qui se vendent dans le monde entier. Les déchets produits sont ensuite rendus à la terre afin de permettre aux sols érodés par la culture intensive de maïs transgéniques de se reconstituer progressivement. Une belle illustration de la façon dont un design phyto-centré peut soigner les maux des communautés humaines, tout en pansant les autres vivants et leurs habitats.
Plant Fever, vers un design phyto-centré. Dans cet ouvrage coédité avec Olivier Lacrouts, Laura Drouet et d'autres professionnels nous invitent à découvrir ces actions militantes qui appellent à de nouvelles alliances entre les plantes et les humains. Éd. Stichting Kunstboek.