Plante, mon amie
C'est un des effets du Covid : nombre d'entre nous ont adopté chiens, chats, hamsters… Dans les rues, on croise des bergers australiens, des corgis, des shibas, tandis que les vétérinaires notent l'attention croissante que nous leur portons. Nous avons été profondément ébranlés par cette crise sanitaire, et l'animal de compagnie nous apparaît comme un médiateur face au stress, au sentiment d'isolement ou d'impuissance, relèvent les psychologues.
Mais ce besoin du lien, d'autres l'expérimentent avec les plantes. On en parle moins. Il me semble que l'on n'ose pas toujours se confier à ce sujet, par crainte de passer pour un original. S'il est aujourd'hui admis que l'animal éprouve des émotions, qui finalement sont le miroir des nôtres, le lien avec une plante est plus difficile à décrire. Il y a quelque chose de profondément iconoclaste, dans notre contexte culturel, à déclarer « les plantes sont mes amies ». A affirmer, comme le fait François Couplan dans un livre récent*, « être tombé amoureux de la lavande », et à soutenir : « Ma relation avec elles (les plantes ndlr), même si elle ne saurait remplacer les contacts avec d'autres humains, est très forte ». Or le savoir naturaliste, la biologie, la philosophie ont toujours favorisé les animaux par rapport aux plantes, réduites par la science à de simples objets passifs.
Pourtant, de plus en plus de personnes qui « travaillent » avec les plantes développent avec elles un rapport sensible. Une relation qui prend des formes multiples : ceux qui leur parlent en les cueillant, ceux qui s'interrogent avant d'éclaircir leurs plants : ai-je vraiment le droit de faire mourir ce végétal ? Les récits que nous livre l'anthropologue Dusan Kasic** révèlent la profondeur du lien qui peut s'installer dès lors que l'on change de paradigme. D'autant qu'il ne s'est pas intéressé aux amateurs de plantes d'intérieur, mais à des paysans pratiquant tout type d'agriculture. Ces témoignages authentiques, sans fards montrent comment la richesse d'une telle relation agit sur leur quotidien.
Peut-être avez-vous l'impression que je vous parle ici d'un retour de la pensée magique. Eh bien non. Ce changement de perspective repose sur l'art de l'observation et sur l'attention. Les gestes qui en résultent ont intégré la part sensible si souvent niée dans nos logiques productivistes. Et c'est une preuve de plus que les capacités du vivant à tisser des liens sont infinies.
*F. Couplan, Ce que les plantes ont à nous dire, éd. Les Liens qui libèrent.
**D. Kasic, Quand les plantes n'en font qu'à leur tête, éd. Les Empêcheurs de penser en rond.