Exploration tropicale
L’image que nous projetons sur les forêts tropicales est celle d’un milieu vierge particulièrement hostile à l’homme. Densité et foisonnement de la végétation, faune menaçante… un tel environnement ne nous semble pas propice à l’installation humaine. Or des recherches archéologiques menées ces dernières années, notamment en Amazonie, sont en train de remettre en question cette idée. Grâce à la nouvelle technologie Lidar, qui permet en quelque sorte de « passer à travers » la canopée forestière, des chercheurs peuvent analyser en détail la topographie de paysages et de constructions sur de grandes distances. Et d’aller de surprise en surprise !
La densité de population sur ces sites se révèle ainsi bien supérieure à ce que l’on avait imaginé. La cité maya de Tikal (Guatemala) aurait accueilli jusqu’à 200 000 habitants à la fin de la période dite classique (150 à 950 après J.-C.). Cette occupation allait de pair avec des aménagements étonnants, comme le confirme la récente découverte de cités englouties dans la verdure en Bolivie*. De longues chaussées surélevées traversant collines et marécages, de vastes terrasses, des kilomètres de canaux reliés à des réservoirs d’eau, l’ensemble forme un réseau fortement interconnecté intégrant des paysages agricoles productifs. « C’est tellement grand que l’on dirait que ça fait partie de l’environnement naturel », a décrit l’archéologue Takeshi Inomata évoquant des ruines mayas au Mexique.
La présence humaine dans les forêts tropicales est bien plus ancienne encore. L’équipe de Patrick Roberts de l’Institut Max-Planck, spécialisée en sciences paléoenvironnementales, a en effet montré que les forêts tropicales ont été occupées par l’homme dès les premières étapes de notre évolution. Il met ainsi en évidence les capacités importantes d’Homo sapiens à s’adapter sur la durée à des environnements très différents, quoique difficiles.
Je trouve ces nouvelles découvertes très stimulantes dans le contexte que nous traversons. Il en ressort en effet que ces civilisations anciennes construisaient de vastes paysages urbains sans nuire à la nature, sans lutter contre elle. Cet urbanisme agraire basé sur de petites unités mixait les ressources sauvages et domestiquées, avec l’exploitation de vergers, de jardins forestiers riches en biodiversité. Ainsi se dessine une façon durable d’habiter un milieu naturel que notre modernité considère comme inhospitalier. Et que nous nous employons à détruire. Alors, plutôt que de le déforester à tout va pour installer des monocultures dévastatrices, ne pourrions-nous pas nous inspirer de cet héritage dont nous commençons à appréhender toute l’inventivité ? Les preuves s’accumulent qui montrent l’ampleur des interactions humaines avec cet environnement. Cela représente l’opportunité de nous positionner avec résilience vis-à-vis d’un des environnements les plus anciens de notre planète. Et de devenir ainsi vraiment des explorateurs… d’un nouveau type.