Je mange, donc je suis ?
« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es », affirmait Brillat-Savarin en 1841. Que mangeons-nous depuis des milliers d’années ? Avant tout un végétal : notre aliment de base, que nous avons appris à cultiver. La composition de ce dernier a des implications sur la chimie de notre corps, notre cerveau, et donc, notre façon de penser. Nous pourrions dire que chaque civilisation vit dans l’atmosphère de son végétal dominant. Illustrons cette idée par l’exemple du blé et du riz.
Le blé est une céréale produisant un fort taux de gluten, aujourd’hui controversé. Il causerait des inflammations intestinales et relâcherait des exorphines dans le système neurologique. La gliadine (protéine neuroactive, précurseur du gluten) aggraverait les troubles de l’attention, l’hyperactivité, la dépression et la bipolarité. Ajoutons à cela qu’en faisant monter le taux d’insuline et la glycémie, elle serait responsable d’une perpétuelle sensation de faim qui revient. Ce cumul explosif éclaire d’un jour intéressant les symptômes de la culture européenne qui, depuis dix mille ans, centre son alimentation sur le blé. Le premier pilier culturel européen n’est-il pas l’ambition, autrement dit la faim qui revient ? La gloutonnerie de connaissances, la goinfrerie de territoires, l’avidité de techniques, la boulimie de pouvoir et l’insatiabilité de capitaux ne pourraient-elles pas être l’extension d’une éternelle « faim qui revient » ? L’hyperactivité anxieuse qui ronge et meut l’Ancien Monde depuis son origine ne serait-elle pas liée à l’accumulation de gliadine dans ses synapses ? Enfin, les métaphysiques européennes égocentrées ne seraient-elles pas une conséquence du « rappel à soi » d’intestins perpétuellement enflammés ?
Le riz, Oryza sativa, est quant à lui une céréale sans gluten consommée en Asie depuis dix mille ans. Ses vertus en font une excellente plante pour le transit intestinal et les régimes par sa faible teneur en sel et en graisse. Si nous suivons notre idée, nous dirions que les cultures asiatiques sont l’extension du riz, autrement dit l’expression d’une plante sans gluten favorisant la digestion et produisant une satiété n’impliquant pas d’obésité. Voilà qui peut sans doute éclairer ces philosophies de la tempérance, de la mesure et de l’équilibre des peuples le consommant historiquement. Nietzsche va jusqu’à supposer que « le développement du bouddhisme (non son origine) est dû en grande partie à l’abus d’une nourriture exclusivement composée de riz ». Le lien de causalité direct serait certes difficile à établir ; mais on ne peut que s’étonner devant la concomitance entre une plante équilibrante comme le riz et les philosophies de l’équanimité comme le bouddhisme, le taoïsme et leurs extensions martiales.
Chaque civilisation s’identifiant à la plante qu’elle ingère, concluons que nous sommes ce qui nous pénètre et nous traverse de la bouche au sphincter, et qui s’exprime par nos palpitations de conscience. Questionner ce que nous mangeons revient ainsi à se demander : qui voulons-nous être ?